Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/153

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Le jeune manchot s’était reculé de deux ou trois pas pour aller voir l’animal, quand la voix de Barnabé l’arrêta :

« C’est à moi, cria-t-il, moitié riant, moitié pleurant ; c’est mon chéri, mon ami Grip. Ha ! ha ! ha ! n’allez pas lui faire du mal ; il ne vous en a pas fait. C’est moi qui lui ai appris ce qu’il sait : ce n’est donc pas sa faute, c’est la mienne. Vous devriez bien me l’apporter. C’est le seul ami que j’aie à présent. Avec vous, voyez-vous, il se gardera bien de danser, de causer ou de siffler ; mais avec moi, c’est bien différent, parce qu’il me connaît ; vous ne croiriez jamais comme il m’aime. Vous n’êtes pas capable d’aller faire du mal à un oiseau, n’est-ce pas ? Vous êtes un brave soldat, monsieur ; vous n’iriez pas faire du mal à une femme ou à un enfant : un oiseau, c’est tout comme. »

Cette dernière supplication s’adressait au sergent, que Barnabé, d’après son habit rouge et ses épaulettes, jugeait d’un grade assez élevé dans les honneurs militaires, pour pouvoir décider d’un mot la destinée de Grip. Mais ce gentleman, pour toute réponse, l’envoya au diable comme un brigand de rebelle qu’il était, et jurant par le sang, par la mort, par la tête, etc., finit par l’assurer que, si cela ne dépendait que de lui, il aurait bientôt coupé le sifflet de l’oiseau…. et de son maître par-dessus le marché.

« Vous êtes bien brave en paroles avec un pauvre homme en cage, dit Barnabé furieux. Si j’étais seulement de l’autre côté de la porte qui nous sépare, et que nous fussions entre quatre yeux, je vous ferais bientôt chanter une autre gamme…. Oui, oui, remuez la tête tant que vous voudrez…. je vous ferais chanter une autre gamme. Tuer mon oiseau ! …. Eh bien ! essayez. Tuez tout ce que vous voudrez ; mais gare aux représailles, quand ceux qui ont les mains liées pour le quart d’heure seront en état de vous le rendre ! »

Après ce beau défi, il se jeta dans le coin de son cachot, en marmottant :

« Au revoir, Grip…. au revoir, mon bon vieux Grip ! »

Puis il versa des larmes, pour la première fois depuis sa captivité, et se cacha la figure dans la paille.

Il avait eu d’abord dans l’idée que le manchot aurait pris son parti, ou qu’au moins il lui aurait dit un mot ou deux d’encouragement. Pourquoi ? c’est ce qu’il n’aurait pu ex-