Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/176

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et prendre la seule chaise de poste et la seule paire de chevaux qui se trouvassent dans le bourg à sa disposition. Ce ne fut pas sans difficulté qu’ils y consentirent : pourtant ils finirent par lui dire de faire ce qu’il voudrait, pourvu qu’il les quittât le plus promptement possible, au nom du bon Dieu.

Laissant le sacristain à la tête du cheval, il sortit la chaise en la faisant rouler de ses propres mains, et il allait mettre aux chevaux les harnais, lorsque le postillon du village, une espèce de vaurien et de vagabond, mais qui n’avait pas mauvais cœur, en voyant la peine qu’il se donnait, jeta là la fourche dont il était armé, en jurant que les émeutiers le couperaient s’ils voulaient menu, menu comme chair à pâté, mais qu’il ne resterait pas là, les bras croisés, à voir un honnête gentleman, qui ne leur avait pas fait de mal, réduit à une telle extrémité, sans lui prêter son assistance. M. Haredale lui donna une cordiale poignée de main, et le remercia de tout son cœur ; au bout de cinq minutes, la chaise était prête et le bon drille sur sa selle. On mit l’assassin dans l’intérieur : on baissa les stores, le sacristain s’assit sur le brancard ; M. Haredale monta sur son cheval et ne quitta pas la portière. Les voilà partis, au fort de la nuit et dans le plus profond silence, sur la route de Londres.

Telle était la terreur générale dans le pays, que les chevaux mêmes de la Garenne qui avaient échappé aux flammes n’avaient pu trouver d’abri nulle part. Les voyageurs passèrent devant eux sur la route, pendant qu’ils étaient à brouter un maigre gazon ; et le conducteur leur dit que les pauvres bêtes avaient commencé par venir errer dans le village, mais qu’on les en avait chassées pour ne point attirer sur les habitants la colère et la vengeance des ennemis de M. Haredale.

Et il ne faut pas croire que ce sentiment de lâche frayeur fût borné à de petits endroits comme celui-là, où les gens étaient timides, ignorants et sans secours. Quand ils approchèrent de Londres, ils rencontrèrent, au faible crépuscule du matin, de pauvres familles catholiques qui, sous l’influence des menaces effrayantes et des avertissements répétés de leurs voisins, quittaient la ville à pied, faute, disaient-elles, d’avoir pu trouver à louer ni charrette ni chevaux pour déménager leurs effets, qu’elles avaient été obligées de laisser derrière elles à la merci de la populace. Près de Mile--