Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/194

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viles elles-mêmes étaient opposées aux papistes, et n’auraient pas le cœur de tourmenter des gens qui n’avaient pas d’autre tort que de penser comme elles. Bien entendu que c’était surtout aux oreilles des soldats qu’on faisait résonner ces espérances, et les soldats, qui, de leur côté, naturellement, n’ont pas de goût pour se battre contre le peuple, recevaient ces avances avec assez de bienveillance, répondant à ceux qui leur demandaient s’ils iraient volontiers tirer sur leurs compatriotes : « Non ! de par tous les diables ! » montrant enfin des dispositions pleines de bonté et d’indulgence. On fut donc bientôt persuadé que les militaires n’étaient pas des soldats du pape, et n’attendaient que le moment de désobéir aux ordres de leurs chefs pour se joindre à l’émeute. Le bruit de leur répugnance pour la cause qu’ils avaient à défendre, et de leur inclination pour celle du peuple, se répandit de bouche en bouche avec une étonnante rapidité, et, toutes les fois qu’il y avait quelque militaire écarté à flâner dans les rues ou sur les places, il se formait aussitôt un rassemblement autour de lui : on lui faisait fête, on lui donnait des poignées de main, on lui prodiguait toutes les marques possibles de confiance et d’affection.

Cependant la foule était partout. Plus de déguisement, plus de dissimulation ; l’émeute allait tête levée dans toute la ville. Un des insurgés voulait-il de l’argent, il n’avait qu’à frapper à la porte de la première maison venue, ou à entrer dans une boutique, pour en demander au nom de l’Émeute : il était sûr de voir sa demande sur-le-champ satisfaite. Les citoyens paisibles ayant peur de leur mettre la main sur le collet quand ils marchaient seuls et isolés, il n’y avait pas de danger qu’on allât leur chercher querelle quand ils étaient en corps nombreux. Ils se rassemblaient dans les rues, les traversaient selon leur bon plaisir, et concertaient publiquement leurs plans. Le commerce était arrêté, presque toutes les boutiques fermées. Presque sur toutes les maisons était déployé un drapeau bleu, en gage d’adhésion à la cause populaire. Il n’y avait pas jusqu’aux juifs de Houndsditch, dans le quartier de Whitechapel, qui écrivaient sur leurs portes et leurs volets : « C’est ici la maison d’un vrai et fidèle protestant. » La foule faisait loi, et jamais loi ne fut acceptée avec plus de crainte et d’obéissance.