Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cour d’auberge tout près de là, pour y recevoir une douche à la pompe. On se passait de mains en mains de pleins baquets d’eau dans la foule ; mais la soif était si ardente et si générale, l’empressement si grand à qui boirait le premier, que, le plus souvent, tout le contenu en était renversé par terre, sans que pas un eût pu seulement humecter ses lèvres.

Cependant, au milieu des cris et du vacarme, ceux qui étaient le plus près du bûcher continuaient de rejeter dans le tas les fragments embrasés qui venaient à rouler en bas, et poussaient les charbons ardents contre la porte, qui, malgré ce linceul de flammes, n’en restait pas moins fermée et barricadée, sans leur ouvrir de passage. On passait, par-dessus la tête des gens, de gros tisons à ceux qui se tenaient au pied des échelles, tout prêts à grimper jusqu’au dernier échelon, pour les tenir d’une main contre le mur de la prison, déployant tout ce qu’ils avaient d’habileté et de force pour lancer ces brandons sur le toit, ou les jeter en bas dans les cours intérieures. Souvent ils en venaient à bout, et c’était alors un redoublement d’horreur dans cette scène effroyable : car les prisonniers enfermés là dedans, voyant, à travers leurs barreaux, le feu prendre dans plusieurs endroits et s’approcher menaçant, pendant qu’ils étaient là sous clef pour la nuit, commençaient à s’apercevoir qu’ils étaient en danger de brûler vifs. Cette crainte horrible, se répandant de cellule en cellule, leur arrachait des cris et des lamentations épouvantables ; ils appelaient au secours avec des cris si affreux, que la prison tout entière retentissait de leurs plaintes ; on entendait leurs clameurs dominer les hurlements de la populace et le mugissement des flammes : c’était un tumulte d’agonie et de désespoir à faire trembler les plus hardis.

Ce qu’il y a de remarquable, c’est que ces cris commencèrent par le côté de la prison qui faisait face à Newgate-Street, où tout le monde savait qu’étaient renfermés les hommes condamnés à être exécutés le mardi suivant. Et non-seulement ces quatre criminels, qui avaient si peu de temps à vivre, furent les premiers à prendre l’alarme, en se voyant menacés de brûler vifs, mais ce furent aussi, du commencement jusqu’à la fin, les plus importuns de tous : car on les