Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/241

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les grilles, les forçait à la retraite, leur prenait les hommes dont ils devaient compte, et, avec ce renfort, revenait à la charge, dans le délire du vin et de la rage, les excitant de ses hourras comme un démon.

Le plus habile cavalier aurait eu bien de la peine à rester à cheval au milieu d’une telle foule et d’un pareil tumulte ; mais, quoique ce furieux roulât sur la croupe (il n’avait pas de selle) comme un bateau ballotté par la mer, il n’était pas un instant embarrassé de se tenir ferme et de diriger sa monture partout où il voulait. Dans les rangs les plus épais et les plus pressés, sur les cadavres et les débris enflammés, tantôt sur les trottoirs, tantôt sur la chaussée, tantôt poussant son cheval sur les marches d’un perron pour mieux se faire voir de son parti, tantôt enfin se frayant un passage dans une masse d’êtres vivants, si serrée et si compacte qu’on n’aurait pas pu en couper une tranche avec la lame d’un couteau, il allait toujours, sûr de surmonter tous les obstacles à son gré. Et peut être est-ce à cette circonstance même qu’il devait de n’avoir pas encore reçu une balle : car son audace extrême, et la certitude où l’on était qu’il devait être un de ceux dont la proclamation officielle avait mis à prix la capture, inspiraient aux soldats le désir de le prendre vivant et détournaient bien des coups qui, sans cela, ne se seraient pas égarés loin de lui.

Le négociant et M. Haredale, ne pouvant plus rester tranquillement assis à écouter le bruit, sans voir ce qui se passait, avaient grimpé sur le toit de la maison, et là, cachés derrière une pile de cheminées, ils regardaient en bas avec précaution dans la rue ; ils avaient quelque espérance qu’après tant d’attaques toujours repoussées, les assaillants allaient céder, quand un grand cri leur annonça qu’un parti nouveau arrivait de l’autre côté, et quand l’effroyable fracas de ces fers maudits les avertit en même temps que c’était encore Hugh qui était à la tête de cette troupe. Les soldats s’étaient avancés dans Fleet-Market, où ils étaient occupés à disperser la foule devant eux ; ce qui permit aux assaillants de marcher sans rencontrer d’obstacle et d’arriver bientôt devant la maison.

« Tout est perdu maintenant, dit le négociant : dans une minute voilà cinquante mille livres sterling qui vont être jetées