Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et, avant même qu’ils eussent pu se jeter sur le côté, ou faire un pas en arrière, ou chercher une cachette, deux hommes, dont l’un portait une torche, arrivèrent sur eux et s’écrièrent, dans une espèce de murmure de saisissement : « Les voilà ! »

Au même instant ils jetèrent la coiffure postiche dont ils s’étaient affublés. M. Haredale vit devant lui Édouard Chester, et puis après, quand le négociant étonné eut la force d’ouvrir la bouche pour prononcer ce nom… Joe Willet.

Vraiment oui ! c’était bien Joe Willet en personne, le même Joe (avec un bras de moins pourtant), qui, tous les ans, faisait à chaque trimestre un voyage sur la jument grise pour venir payer le mémoire du rougeaud marchand de vins. Et c’était ce même rougeaud marchand de vins, ci-devant de Thomas-Street, qui en ce moment le regardait en face et l’appelait par son nom.

« Donnez-moi la main, dit Joe doucement et, qui plus est, la prenant de lui-même bon gré mal gré, n’ayez pas peur de secouer la mienne : elle est à vous de bon cœur ; malheureusement elle n’a plus sa camarade. Mais, avez-vous bonne mine ! quel gaillard vous faites ! Et vous…. que Dieu vous bénisse, monsieur. Prenez courage, prenez courage. Nous les retrouverons, allez ! n’ayez pas peur ; nous n’avons pas perdu notre temps. »

Il y avait dans le langage de Joe quelque chose de si franc et de si honnête, que M. Haredale, involontairement, lui mit la main dans la main, quoique leur rencontre ne laissât pas de lui être un peu suspecte. Mais le regard qu’il lança en même temps à Édouard Chester, la discrétion avec laquelle ce jeune gentleman se tenait à l’écart, n’échappèrent pas à Joe, qui se mit à dire hardiment, en jetant aussi un coup d’œil du côté d’Édouard :

« Les temps sont bien changés, monsieur Haredale, et voilà le moment venu de distinguer nos amis de nos ennemis et de ne pas prendre les uns pour les autres. Permettez-moi de vous dire que, sans ce gentleman, il est bien probable que vous ne seriez plus en vie à cette heure, ou que vous seriez pour le moins grièvement blessé.

— Que dites-vous là ? lui demanda M. Haredale.

— Je dis premièrement qu’il ne fallait déjà pas être capon