Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idées qui étaient venues l’émouvoir par degrés, c’est à elles qu’il devait le chagrin qu’il montrait en regardant son visage égaré, les larmes qui inondaient ses yeux en se baissant pour l’embrasser, le soin avec lequel il l’éveillait tout content au milieu de ses pleurs, l’abritant du soleil, l’éventant avec des branchages, le calmant dans les sursauts de son sommeil… Ah ! quel sommeil agité ! … et se demandant si elle, elle ne voudrait pas bientôt les rejoindre, pour que leur bonheur fût complet. Il resta assis près de lui tout le jour, l’oreille au guet, pour écouter le pas de sa mère à chaque souffle de l’air, cherchant au loin son ombre sur les herbes mollement balancées par le vent, tressant les fleurs des haies pour qu’elle en eût le plaisir quand elle arriverait, et lui aussi quand il s’éveillerait ; enfin se baissant de temps en temps pour écouter les murmures des rêves de son père, et pour s’étonner qu’il ne goûtât pas un meilleur repos dans un lieu si tranquille.

Le soleil disparut, la nuit vint et le trouva aussi paisible, tout entier à ces pensées, comme s’il n’y avait qu’eux au monde, et que le lourd nuage de fumée qu’on voyait de loin suspendu sur l’immense cité ne recélât ni vices, ni crimes, ni vie, ni mort, ni aucun sujet d’inquiétude…. comme si c’était seulement le vide de l’air.

Mais l’heure était enfin venue où il fallait qu’il allât seul chercher l’aveugle (quel bonheur pour lui !) et le ramener là, en prenant grand soin qu’on ne l’épiât et qu’on ne le suivît en chemin. Il écouta bien les instructions qu’il devait observer, les répéta souvent pour être sûr de les retenir, et, après être revenu deux ou trois fois sur ses pas pour faire une surprise à son père, en riant à cœur joie, il finit par partir sérieusement pour accomplir sa commission, en lui recommandant d’avoir soin de Grip, qu’il n’avait pas oublié d’emporter de la prison dans ses bras.

Agile et impatient de revenir, il ne fut pas long à gagner la ville ; cependant, quand il arriva, les incendies étaient déjà allumés et insultaient aux ténèbres de la nuit avec leur éclat affreux. À son entrée dans la ville, peut-être ce changement venait-il de ce qu’il n’avait plus là près de lui ses anciens compagnons, et qu’il n’était point chargé d’une commission violente ; peut-être aussi cela venait-il de la beauté de la