Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/254

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la terre lui manque sous les pieds. Vous le connaissez bien ! vous vous le rappelez ! tenez ! regardez-le. »

En effet ils étaient revenus à l’endroit où il était couché, et ils se baissèrent sur lui tous les deux pour voir sa figure.

« Bien ! je me le rappelle, murmura le père. Pourquoi l’avez-vous amené ici ?

— Parce qu’il aurait été tué, si je l’avais laissé là-bas. Si vous aviez vu comme on tirait des coups de fusil et comme le sang coulait ! La vue du sang ne vous fait-elle pas trouver mal, mon père ? Je vois bien que si, à votre figure. C’est comme moi…. qu’est-ce que vous regardez donc ?

— Rien, dit l’assassin doucement, après avoir reculé un pas ou deux pour regarder avec les lèvres serrées et l’œil fixe par-dessus la tête de son fils. Rien. »

Il resta dans la même attitude et avec la même expression dans ses traits pendant quelques minutes ; puis il promena lentement son regard autour de lui, comme s’il avait perdu quelque chose, et revint en frissonnant vers le hangar.

« Voulez-vous que je l’emporte là-dedans, père ? » demanda Barnabé qui était resté, pendant ce temps-là, à regarder aussi, sans savoir ce que cela voulait dire.

Il ne répondit que par un gémissement étouffé, en se couchant par terre enveloppé de son manteau jusque pardessus la tête, et se retira dans le coin le plus obscur.

Voyant qu’il n’y avait pas moyen, pour le moment, d’éveiller Hugh ou de lui faire reprendre ses sens, Barnabé le traîna sur l’herbe et le coucha sur un petit tas de foin et de paille de rebut, dont il avait déjà lui-même fait son lit, après avoir commencé par apporter un peu d’eau d’un ruisseau voisin, pour laver sa blessure et lui nettoyer les mains et la figure. Ensuite il se coucha lui-même, entre eux deux, pour y passer la nuit, et, la face tournée vers les étoiles, il tomba dans un profond sommeil.

Réveillé de bonne heure, le lendemain matin, par l’éclat du soleil, le chant des oiseaux et le bourdonnement des insectes, il laissa dormir les autres dans la hutte, pour aller se promener un peu et respirer cet air doux et frais. Mais il sentit que ses sens harassés, accablés, alourdis par les terribles scènes de la veille et des autres soirées précédentes, se refu-