Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/262

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aidé la nuit précedente à piller une maison. On lui ordonna à haute voix de se rendre. Il n’en courut que plus fort ; encore quelques secondes, et il était trop loin pour qu’un coup de feu pût l’atteindre. L’ordre donné, les soldats tirèrent.

Il y eut un moment de profond silence, chacun retenant son haleine. Tous les yeux étaient filés sur lui. On l’avait vu tressaillir au moment de la décharge, comme s’il avait eu seulement peur du bruit. Mais il ne s’était pas arrêté : il n’avait seulement point ralenti son pas ; au contraire, il avait continué sa course encore une quarantaine de mètres plus loin. Mais là, sans tournoyer, sans chanceler, sans aucun signe de faiblesse ou de frémissement dans ses membres, il tomba comme un plomb.

Quelques soldats coururent à l’endroit où il était étendu. Le bourreau les accompagnait. Tout cela s’était passé si vivement, que la fumée n’était pas tout à fait dissipée et serpentait encore dans l’air en un léger nuage, qu’on aurait pu prendre pour l’esprit que venait de rendre le défunt et qui désertait son corps d’un air solennel. Il n’y avait que quelques gouttes de sang sur l’herbe ; un peu plus de l’autre côté, quand on l’eût retourné…. Voilà tout.

« Venez voir un peu ! venez voir un peu ! dit le bourreau se baissant, un genou en terre, à côté du corps, et regardant d’un air désolé l’officier avec ses hommes : voilà qui est joli !

— Ôtez-vous de là, répliqua l’officier. Sergent, voyez ce qu’il avait sur lui. »

Le sergent retourna les poches de l’aveugle, les vida sur l’herbe, et trouva, sans compter quelques pièces de monnaie étrangère et deux bagues, quarante-cinq guinées en or. On les emporta enveloppées dans un mouchoir, laissant là, pour le moment, le cadavre, avec le sergent et six soldats chargés de le transporter au poste le plus voisin.

« À présent, si vous voulez partir, dit le sergent en donnant une tape sur l’épaule de Dennis et en lui montrant l’officier qui retournait vers le hangar. »

À quoi M. Dennis répondit seulement : « Je vous défends de me parler. Et en même temps il répéta ce qu’il avait déjà dit, en terminant encore par : « Voilà qui est joli !

— Il me semble que c’était un homme qui ne vous intéressait pas beaucoup ? remarqua le sergent froidement.