Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gardant toujours avec attention le soleil couchant, c’est bel et bon, ma mère ; mais l’or est bon à prendre. Je voudrais bien savoir où en trouver. Grip et moi nous saurions bien en faire notre profit, je vous en réponds.

— Qu’est-ce que vous en feriez ?

— Ce que j’en ferais ? un tas de choses. Nous nous mettrions comme des princes… je veux dire vous et moi, mère, je ne parle pas de Grip. Nous aurions des chevaux, des chiens, des habits de riches couleurs et des plumes à notre chapeau ; nous ne travaillerions plus, nous vivrions délicatement et à notre aise. Oh ! que oui, que nous en trouverions bien l’emploi. Si je savais seulement où en déterrer ! J’aurais cœur à la besogne, allez !

— Vous ne savez pas, dit la mère, se levant de son siége et lui mettant la main sur l’épaule, ce que bien des gens ont fait pour en gagner, qui ont reconnu, trop tard, qu’il n’est jamais plus brillant que de loin, mais qu’il perd tout son prix et son éclat quand une fois on l’a dans la main.

— Eh ! eh ! vous dites ça. Vous croyez ça, répondit-il, toujours l’œil fixé dans la même direction : c’est égal, mère, je voudrais bien en essayer.

— Ne voyez-vous pas, dit-elle, comme il est rouge ? Il n’y a rien au monde qui ait autant de taches de sang que l’or. Évitez-le, Barnabé. Il n’y a personne qui ait plus de raison que moi d’en détester jusqu’au nom même. C’est lui qui a amassé sur votre tête et sur la mienne plus de misère et de souffrance que personne n’en a jamais connu, et que personne, j’espère, grâce à Dieu ! n’en connaîtra jamais. J’aimerais mieux que nous fussions morts et couchés dans la tombe que de vous voir jamais aimer l’or. »

Il détourna un moment ses yeux pour regarder sa mère avec étonnement ; puis, les portant alternativement du rouge vif du ciel à la cicatrice de son poignet, comme pour en comparer la couleur, il allait lui adresser une question avec vivacité, lorsqu’un nouvel objet vint frapper son attention facile à distraire, et lui fit tout à fait oublier son dessein.

Il y avait là, debout, la tête nue, un homme dont les pieds et les vêtements étaient couverts de poussière, et qui se tenait derrière la haie de séparation entre leur jardin et le sentier. Il se penchait modestement en avant, comme pour se mêler à