Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/293

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cent cinquante mille livres sterling. À l’estimer au plus bas, d’après l’évaluation plus impartiale de personnes désintéressées, elle montait toujours bien à plus de cent vingt-cinq mille livres. Cette perte immense fut bientôt après couverte par une indemnité sur la fortune publique, en exécution d’un vote de la chambre des Communes, la somme ayant été prélevée sur les différents quartiers de Londres, et sur le comté et le bourg de Southwark. Toutefois, lord Mansfield et lord Saville ne voulurent ni l’un ni l’autre recevoir d’indemnité d’aucun genre.

La chambre des Communes dans sa séance du mardi, avec ses portes fermées et bien gardées, avait émis une résolution à l’effet de procéder, immédiatement après la fin des émeutes, à l’examen des pétitions présentées par un grand nombre des sujets protestants de Sa Majesté, et à leur prise en sérieuse considération. Pendant qu’on débattait cette question, M. Herbert, l’un des membres présents, se leva indigné et pria la chambre de remarquer que lord Georges Gordon était là sur son banc, au-dessous de la galerie, avec la cocarde bleue, signe de ralliement de la rébellion, attachée à son chapeau. Non-seulement ceux qui siégeaient auprès de lui l’obligèrent de l’ôter ; mais, quand il s’offrit à aller dans les rues pacifier l’émeute, rien qu’avec la vague assurance que la chambre était disposée à leur donner « la satisfaction qu’ils voulaient, » plusieurs membres se réunirent pour le retenir de force sur son banc. Bref, le désordre et la violence qui régnaient en vainqueurs au dehors, pénétrèrent aussi dans le sénat, et là, comme ailleurs, l’alarme et la terreur étaient à l’ordre du jour, et les formes régulières furent un moment oubliées.

Le mardi, les deux chambres s’étaient ajournées au lundi suivant, déclarant impossible de continuer le cours de leurs délibérations avec la gravité et la liberté nécessaires, tant qu’elles seraient entourées par la troupe armée. Mais, à présent que les révoltés étaient dispersés, les citoyens furent. assaillis par une autre crainte. En effet, en voyant les places publiques et leurs lieux ordinaires de réunion remplis de soldats autorisés à faire usage à discrétion de leurs fusils et de leurs sabres, ils commencèrent à prêter une oreille avide au bruit qui circulait de la proclamation d’une loi martiale