Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/307

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et souhaiter à part lui que l’autre ne se réveillât jamais. Fatigué de rester debout, il s’accroupit dans son coin au bout de quelque temps, et finit par s’asseoir sur le pavé glacé. Cependant, quoique la respiration de Hugh annonçât toujours qu’il dormait d’un bon somme, il ne pouvait se résoudre à le quitter des yeux un instant. Il en avait si grand’peur, il redoutait tellement un assaut subit de sa part, que, non content d’observer ses yeux fermés au travers des barreaux de la chaise, il se levait en tapinois de temps en temps sur ses pieds pour le regarder, le cou tendu, et s’assurer qu’il était réellement bien endormi, et qu’il n’allait pas profiter d’un moment de surprise pour s’élancer sur lui.

Hugh dormit si longtemps et si profondément, que M. Dennis commença à croire qu’il ne se réveillerait pas avant la visite du porte-clefs. Déjà il se félicitait de cette supposition flatteuse, et bénissait son étoile avec ferveur, quand il se manifesta deux ou trois symptômes assez peu rassurants, comme par exemple un nouveau mouvement du bras, un nouveau soupir, une agitation incessante de la tête ; puis, juste au moment où le dormeur allait tomber lourdement à bas de ce lit étroit, les yeux de Hugh s’ouvrirent.

Le hasard voulut que sa figure se trouvât précisément tournée du côté de son visiteur inattendu. Il le regarda bien une douzaine de secondes tranquillement, sans avoir l’air d’être surpris ni de le reconnaître. Puis tout à coup il fit un bond et prononça son nom avec un gros juron.

« N’approchez pas, camarade, n’approchez pas, cria Dennis, se cachant derrière la chaise, ne me touchez pas. Je suis prisonnier comme vous. Je n’ai pas la liberté de mes membres. Je ne suis qu’un pauvre vieux. Ne me faites pas de mal. »

Il prononça les derniers mots d’un air si câlin et d’un ton si piteux, que Hugh, qui avait saisi la chaise et la tenait en l’air pour lui en asséner un coup, se retint et lui dit de se relever.

« Oui certainement, camarade, je vais me relever, cria Dennis, prompt à l’apaiser par tous les moyens en son pouvoir ; je ne demande pas mieux que de faire tout ce qui peut vous être agréable, bien sûr ; là ! me voici relevé. Qu’est-ce que je puis faire pour vous ? Vous n’avez qu’un mot à dire, et je le ferai.