Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/320

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monter par tous ces semblants et n’en gardait pas moins son ton ferme et son regard assuré, que jamais elle ne tourna les yeux vers lui ; pas une seule fois, sir John, et que c’est comme cela qu’elle mourut. Lui, il l’eut bientôt oubliée ; mais, quelques années après, un homme fut de même condamné à mort, un Bohémien comme elle, un gaillard au teint brun et basané, une espèce d’enragé. Et, pendant qu’il était en prison, en attendant l’exécution, comme il avait vu bien des fois le bourreau avant d’être arrêté, il lui sculpta son portrait sur sa canne, comme pour montrer qu’il bravait la mort, et pour faire voir à ceux qui l’approchaient le peu de souci qu’il avait de la vie. Arrivé à Tyburn, il lui remit sa canne entre les mains, en lui disant que la femme dont il lui avait parlé avait déserté sa tribu pour aller trouver un gentleman, et que, se voyant ensuite abandonnée par son séducteur et répudiée par ses anciennes camarades, elle avait fait le serment, dans son orgueil irrité, de ne jamais plus demander aide ni secours à personne, quelle que fût sa misère. Il ajouta qu’elle avait tenu parole jusqu’au dernier moment, et que le rencontrant dans les rues, même lui, qui, à ce qu’il paraît, l’avait autrefois tendrement aimée, elle avait fait un détour pour échapper à sa vue, et qu’il ne l’avait plus revue depuis, que le jour où, se trouvant dans un des fréquents rassemblements de Tyburn, avec quelques-uns de ses rudes compagnons, il était devenu presque fou, en la voyant, mais sous un autre nom, parmi les criminels dont il était venu contempler la mort. Là donc, debout sur la même planche où elle avait figuré avant lui, il raconta tout cela au bourreau, et lui dit le vrai nom de la femme, qui n’était connu que de sa tribu et du gentleman pour l’amour duquel elle avait abandonné les siens…. Ce nom, sir John, il ne veut plus le dire qu’à vous.

— Qu’à moi ! s’écria le chevalier s’arrêtant dans le geste de porter sa tasse à ses lèvres, d’une main ferme comme un roc, et courbant en l’air son petit doigt, pour déployer à son avantage la splendeur d’une bague de diamant dont il était orné. Qu’à moi ! … mon cher monsieur Varden. À quoi bon, je vous prie, me choisir tout exprès pour me faire cette confidence, quand il avait sous sa main un homme aussi digne que vous de toute sa confiance ?