Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/324

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pensant à demain, mais il savait que c’était le glas funèbre de l’assassin. Il l’avait vu passer dans la rue encombrée par la foule, au milieu des imprécations de la multitude ; il avait remarqué sa lèvre frémissante et ses membres tremblants ; la couleur plombée de sa face, son front gluant, son œil égaré…. la crainte de la mort qui absorbait chez lui toute autre pensée, et qui lui dévorait sans pitié le cœur et la cervelle. Il avait remarqué son regard errant, en quête de quelque espérance, et ne rencontrant, de quelque côté qu’il se tournât, que le désespoir. Il avait vu cette créature agitée par son crime, pitoyable et désolée, conduite avec sa bière à côté d’elle dans la charrette jusqu’au gibet. Il savait que jusqu’à la fin il était resté inflexible, obstiné ; que, dans la terreur sauvage de sa condition, il s’était plutôt endurci qu’attendri à l’égard de sa femme et de son fils ; que ses dernières paroles avaient été des paroles de malédiction contre eux, comme étant ses ennemis.

M. Haredale avait résolu d’y aller, pour s’assurer par ses yeux du dénoûment. Il n’y avait que le témoignage de ses sens qui pût satisfaire cette soif ardente de vengeance qui le tenait en haleine depuis tant d’années. Le serrurier le savait, et, quand les cloches eurent cessé leur carillon, il courut à sa rencontre.

« Quant à ces deux hommes, lui dit-il en arrivant, je ne peux plus rien faire. Que le ciel ait pitié d’eux ! … Hélas ! je ne peux rien faire pour eux ni pour d’autres. Mary Rudge aura un gîte, et elle est assurée d’un ami fidèle qu’elle retrouvera au besoin. Mais Barnabé…. le pauvre Barnabé…. le bon Barnabé…. quel service puis-je lui rendre ? Il y a bien des hommes dans leur bon sens. Dieu me pardonne ! cria l’honnête serrurier en s’arrêtant dans une cour étroite qu’ils traversaient, pour passer sa main sur ses yeux humides, que je me résignerais plus facilement à perdre que Barnabé. Nous avons toujours été bons amis ; mais je ne savais pas, non je n’ai jamais su jusqu’à ce jour combien j’aimais ce garçon-là. »

Il n’y avait pas grand monde dans la ville qui pensât à Barnabé ce jour-là, si ce n’est comme à l’acteur principal du spectacle qu’on allait donner au peuple le lendemain. Mais, quand toute la population y aurait songé, pour souhaiter de