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CHAPITRE XXXIX.

Un mois après, on était presque à la fin d’août, et M. Haredale se trouvait seul dans le bureau de la malle-poste, à Bristol. Quoiqu’il ne se fût écoulé que quelques semaines depuis sa conversation avec Édouard Chester et sa mère dans la maison du serrurier, et qu’il n’eût rien changé dans l’intervalle à sa mise ordinaire, son extérieur n’était plus du tout le même. Il avait l’air beaucoup plus vieux et plus cassé. L’agitation et l’inquiétude n’épargnent pas à l’homme les rides et les cheveux blancs ; mais le renoncement secret à nos anciennes habitudes, et la rupture des liens qui nous sont chers et familiers, laissent des traces encore plus profondes. Nos affections ne sont pas aussi faciles à blesser que nos passions ; mais le coup descend plus avant, et la plaie demande plus longtemps pour se cicatriser. Il n’était plus maintenant qu’un homme tout à fait solitaire, et le cœur qu’il portait avec lui n’était aussi qu’isolement et tristesse.

Il semble que la réclusion et l’exil auxquels il s’était condamné tant d’années eussent dû lui faire paraître sa solitude actuelle moins pénible ; mais il sentait maintenant que c’était une mauvaise préparation : car elle n’avait fait qu’aiguiser sa sensibilité ; peut-être un petit tour dans les plaisirs du monde aurait-il mieux valu. Il avait si bien compté sur sa nièce pour lui tenir compagnie ; il l’avait tant aimée ; elle était devenue une part si précieuse et si importante de son existence ; ils avaient eu en commun tant de soucis et de pensées que personne d’ailleurs n’avait partagés avec eux, que la perdre, à présent, c’était recommencer la vie. Ou trouverait-il, pour cet essai nouveau, l’espérance et l’élasticité de la jeunesse pour triompher des doutes, de la défiance, des découragements de l’âge ?

L’effort qu’il avait fait de montrer, en se séparant d’elle, un faux-semblant de gaieté et d’espérance…. et c’était la