Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un mot. C’est une excuse pour faire le paresseux. Il n’y arien de bon comme le fouet pour guérir ça tout de suite. Je vous réponds qu’il ne me faudrait pas dix minutes pour lui faire passer cette maladie-là.

— Le ciel y a mis vingt-deux ans déjà, monsieur, sans y réussir, dit la veuve avec douceur.

— Alors, pourquoi ne le faites-vous pas enfermer ? Nous payons pourtant assez cher en province pour ces institutions-là, que Dieu confonde ! Mais c’est que vous aimez mieux le promener pour demander l’aumône, comme de raison. Oh ! je vous connais bien. »

Or, ce gentleman avait plusieurs petits surnoms d’amitié dans ses connaissances. Les uns l’appelaient « un gentilhomme campagnard de la bonne roche, » d’autres « un gentilhomme campagnard du bon temps, » d’autres « un Nemrod, » d’autres « un Anglais pur sang, » d’autres « un vrai John Bull ; » mais tous ils s’accordaient en un point : c’est que c’était bien dommage qu’il n’y en eût pas beaucoup comme lui, et que c’était là ce qui faisait que le pays marchait tous les jours à sa ruine. Il était juge de paix : il savait à peine écrire son nom lisiblement ; mais il avait des qualités de premier ordre. D’abord, il était très-sévère pour les braconniers ; ensuite il n’y avait pas de meilleur tireur, de cavalier plus intrépide ; nul n’avait de meilleurs chevaux, de meilleurs chiens ; il mangeait de la viande, il buvait du vin comme personne ; il n’y avait pas, dans tout le comté, un homme comme lui pour se coucher tous les soirs plus aviné, sans qu’il y parût le lendemain matin. Il se connaissait en bêtes chevalines aussi bien qu’un vétérinaire ; il avait des connaissances en écurie, qui faisaient honte à son premier cocher. Il n’avait pas un porc dans ses étables qui pût se vanter d’être aussi glouton que son maître. Il n’avait pas un siége au Parlement en personne, mais il était extrêmement patriote, et menait ses gens au vote haut la main. C’était un des plus chauds partisans de l’Église et de l’État, et il n’aurait pas, au grand jamais, donné un bénéfice de son ressort à un curé qui n’aurait pas justifié de boire ses trois bouteilles à son repas, et de chasser le renard dans la perfection. Il n’avait aucune confiance dans l’honnêteté des pauvres gens qui avaient le malheur de savoir lire et écrire, et, dans le