Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/79

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de tourner, pour la vingtième fois, le coin de Holborn, quand une troupe de femmes et d’enfants qui se sauvaient, tout haletants et se retournant souvent pour regarder par derrière, au milieu d’un bruit confus de voix, attira son attention.

Cet indice assuré, joint à l’éclat rougeâtre dont on voyait la réverbération sur les maisons d’en face, lui fit reconnaître l’approche de quelques amis ; il s’abrita un moment dans une allée, dont il avait trouvé la porte ouverte en passant, et, montant avec quelques autres personnes à une fenêtre du second étage, il se mit à regarder en bas la foule.

Ils avaient avec eux des torches qui éclairaient distinctement les visages des principaux acteurs de cette scène. Ils venaient de démolir quelques bâtiments, on le voyait assez, et il n’était pas moins évident que c’était un lieu consacré au culte catholique, comme le prouvaient les dépouilles qu’ils portaient en trophées, des soutanes, et des étoles avec de riches fragments des ornements de l’autel, couverts de suie, de crotte, de poussière et de plâtre. Leurs vêtements en lambeaux, leurs cheveux en désordre éparpillés autour de leurs têtes, leurs mains et leurs figures écorchées et saignantes des clous rouillés contre lesquels ils s’étaient meurtris, Barnabé, Hugh et Dennis, poursuivaient leur route en avant, furieux et hideux comme des échappés de Bedlam. Derrière eux se pressait la foule pour les suivre. Les uns chantaient, les autres poussaient des cris de victoire ; d’autres se querellaient ; d’autres menaçaient les spectateurs en passant ; d’autres, avec de grands éclats de bois sur lesquels ils passaient leur rage, comme si c’eussent été des victimes Vivantes, les brisaient en mille morceaux qu’ils jetaient en l’air ; d’autres, en état d’ivresse, ne sentaient pas même les coups qu’ils avaient reçus par la chute des pierres, des briques ou de la charpente. Il y en avait un qu’on portait sur un volet, en guise de civière, au milieu de la multitude ; Il était couvert d’un drap sale, sous lequel on voyait seulement un bloc inanimé, une figure funèbre. Puis, c’étaient des visages grossiers qui passaient, éclairés çà et là par un bout de flambeau fumeux ; une fantasmagorie de têtes de démons, d’yeux sauvages, de bâtons et de barres de fer dressés en l’air, qui tournaient et s’agitaient sans fin. Tableau horrible où l’on voyait à la fois tant et si peu, tant de