Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/94

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bien. Qu’est-ce que je vous avais promis ? Quand je vous disais qu’il en valait une douzaine à lui tout seul, et pourtant vous n’aviez pas confiance en lui ! »

M. Dennis, encore endormi et plié en deux, releva son menton dans sa main, pour imiter l’attitude de Hugh, et lui dit en regardant aussi dans la direction de la porte :

« C’est vrai, c’est vrai, frère, vous le connaissiez bien. Mais qui supposerait jamais, à voir ce garçon-là, qu’il pût faire de telles prouesses ? Quel dommage, frère, qu’au lieu de prendre un peu de repos, comme nous, pour se préparer à faire de nouveaux efforts en faveur de notre honorable Cause, il s’amuse à jouer au soldat, comme un bambin ! Et voyez donc aussi comme il est propre, continuait M. Dennis, qui n’avait pas du tout de raison de se sentir quelque sympathie pour les gens délicats sur cet article ; comme on voit bien son imbécillité jusque dans cet excès de propreté ! à cinq heures du matin, il était déjà à la pompe, quand tout le monde aurait parié qu’il devait être assez fatigué d’avant-hier, pour avoir encore besoin de dormir à cette heure-là. Mais pas du tout ; je me suis éveillé seulement une minute ou deux, et il était déjà à la pompe. Et encore, il fallait le voir planter sa plume de paon dans son chapeau, quand il a eu fini de se laver ! Ah ! je suis bien fâché que ce soit un esprit si borné ; mais que voulez-vous ? Le meilleur d’entre nous a ses défauts. »

Le sujet de ce dialogue et de cette conclusion proclamée d’un ton de réflexion philosophique, n’était autre, comme s’en doutent bien nos lecteurs, que Barnabé, qui, son drapeau en main, se tenait en faction au soleil devant la porte éloignée, se promenant quelquefois de long en large et chantonnant sur l’air du carillon que faisaient entendre les cloches des églises voisines. Mais qu’il se tînt tranquille, les deux mains appuyées sur la hampe de son drapeau, ou qu’il le mît sur son épaule, pour monter la garde d’un pas grave et mesuré, le soin avec lequel il avait arrangé sa pauvre toilette, son port droit et fier, montraient toute l’importance qu’il attachait au poste qu’on lui avait confié, et l’orgueil qu’il en ressentait dans son âme. De l’endroit où Hugh et son camarade étaient étendus dans l’ombre obscure du hangar, Barnabé, avec le soleil, et le carillon pacifique du di-