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première note, et j’avoue que dans le commencement c’était décourageant. Par bonheur j’ai un peu d’oreille, et grâce à ma mère je suis habituée à piocher ; d’ailleurs, comme dit le proverbe : « Vouloir c’est pouvoir. » Elle ouvrit en disant cela un petit piano criard, et me joua un quadrille avec infiniment d’entrain. Quand elle eut fini, elle se leva toute joyeuse, et me dit en rougissant : « Ne riez pas de moi, chère Esther, il y a si peu de temps que j’ai commencé. »

J’avais moins envie de rire que de pleurer ; mais je retins mes larmes et je l’encourageai de tout mon cœur en la louant sincèrement ; car je sentais en conscience que l’aimable industrie qu’elle avait prise valait bien une mission, et qu’il y avait autant de mérite dans le courage et la persévérance qu’elle apportait à ses études, que dans tous les discours des philanthropes.

« Si vous saviez comme vos paroles me font plaisir, me dit-elle ; c’est à vous que je dois tout cela ; quel changement dans ma petite personne ! Vous rappelez-vous la première fois que vous m’avez vue, quand j’étais si maussade et les doigts tout pleins d’encre ? Auriez-vous jamais cru que je deviendrais maîtresse de danse ? »

Prince, qui pendant ce temps-là était allé donner une leçon, venait de rentrer pour s’occuper des apprentis. Je suis à vous si vous voulez sortir, me dit sa femme à qui j’avais parlé d’une course à faire ensemble ; mais il était encore de bonne heure et je me joignis à elle pour figurer dans le quadrille que l’on allait former.

C’étaient bien les plus singulières créatures que l’on pût voir que ces quatre apprentis : une frêle petite fille en robe de gaze, avec un affreux chapeau de tulle, apportant ses souliers de prunelle dans un vieux sac de velours, râpé jusqu’à la corde ; et trois gamins, que la danse rendait mélancoliques, les poches pleines de ficelles, de billes et d’osselets ; quelles jambières éraillées, quels bas et surtout quels talons ! Je demandai à Caroline quel pouvait être le motif qui avait engagé leurs parents à leur donner cette profession ; elle me dit qu’elle n’en savait rien, que probablement on les destinait au théâtre, à moins que ce ne fût à l’enseignement. Ils appartenaient tous à de très-pauvres familles ; la mère de l’interne vendait du pain d’épice.

Nous dansâmes pendant une heure avec beaucoup de gravité. Le plus mélancolique des gamins, celui qui, pendant que nous causions, valsait dans la cuisine, faisait des merveilles avec ses pieds et ses jambes, où se révélait une satisfaction intime qui ne