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non sans calculer avec inquiétude la date de l’échéance, pendant que Vholes, boutonné d’esprit et de corps, l’épie comme le chat de l’étude guette la souris qui va sortir de son trou.

Enfin Richard donne une poignée de main à l’avoué, en le conjurant de faire tout au monde pour en finir avec la chancellerie. Le procureur, qui ne désespère jamais, frappe sur l’épaule du jeune homme, et lui répond en souriant :

« Vous me trouverez toujours à mon poste, monsieur, et poussant à la roue. »

Dès qu’il est seul, M. Vholes transporte de son mémorial sur son livre de caisse divers articles pour les besoins les plus pressants de ses filles ; tel un renard ou un ours industrieux fait son compte de poulets ou de voyageurs égarés en songeant à ses petits ; soit dit sans injure pour les trois demoiselles maigres et pincées qui habitent, avec le grand-père Vholes, un cottage bâti en pisai, au milieu d’un jardin très-humide, dans la vallée de Taunton.

Richard, en quittant l’ombre épaisse de Symond’s Inn, traverse Chancery-Lane, où, par hasard, le soleil brille, et passe en rêvant sous les arbres de Lincoln’s Inn. Combien de rêveurs pareils ont, comme lui, passé lentement sous ces arbres, le front incliné, le regard sombre, la démarche incertaine, et rongeant leurs ongles en sentant fermenter et s’aigrir leur nature généreuse. Celui-ci n’est pas encore déguenillé, mais attendons ; la chancellerie, qui ne reconnaît de sagesse que dans la tradition, est riche en pareils précédents ; et pourquoi celui-ci différerait-il des milliers d’individus qu’elle a couverts de haillons ?

Mais il y a si peu de temps que l’influence maudite s’est appesantie sur Richard, qu’il se croit dans une situation exceptionnelle. Au milieu des soucis qui le dévorent, il se rappelle sa première visite à Chancery-Lane, et la nature des sentiments qui l’animaient alors. C’est que l’injustice engendre l’injustice ; on se lasse de combattre des ombres, de se sentir continuellement vaincu par elles ; on finit par chercher un adversaire qu’on puisse étreindre ; c’est un soulagement, une justification à ses propres yeux de la colère qu’on éprouve, que de se trouver un ennemi ; et Richard avait dit vrai en déclarant à M. Vholes que son inimitié pour M. Jarndyce augmentait en raison de ses tortures.

Était-ce sa faute, ou celle de la chancellerie, dont les nombreux précédents en pareille matière seront cités un jour par l’ange accusateur ?

Au moment où il traverse le square et disparaît dans l’ombre sous le portail du sud, il est aperçu par M. Guppy et M. Weevle,