Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/135

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nerveux et se promène sur le tapis qui étouffe le bruit de ses pas.

La lampe est allumée, ses lunettes sont à côté de son pupitre, un fauteuil est placé devant la grande table couverte de papiers, tout annonce qu’il avait l’intention de travailler avant de se mettre au lit ; mais il n’a pas l’esprit aux affaires. Il jette un regard distrait sur les dossiers qui l’attendent, et va continuer sa promenade sur la plate-forme qui règne devant sa fenêtre.

Bien d’autres, avant lui, montèrent sur le haut des vieilles tours, afin de sonder l’avenir en consultant les astres ; mais s’il cherche, parmi tous ces mondes, celui qui préside à sa destinée, ce doit être une étoile bien peu brillante, pour avoir ici-bas un représentant si lugubre.

Tout à coup, au milieu des pensées qui l’absorbent, il est arrêté, en passant devant la fenêtre de sa chambre, par deux yeux qui rencontrent les siens ; en face de lui est une porte dont la partie supérieure est vitrée, et derrière cette porte, qui donne dans le corridor, se tient une femme qui le regarde. Il y a bien des années que le vieux procureur n’a rougi ; mais le sang lui monte au visage quand il reconnaît le regard de lady Dedlock.

Milady ouvre la porte, qu’elle referme derrière elle, et se trouve dans la chambre où l’homme de loi vient de rentrer. Est-ce la crainte ou la colère qui fait briller ses yeux ? se demande le procureur. Du reste, son visage est calme, et sa démarche est aussi noble, aussi ferme qu’elle l’a toujours été.

« Lady Dedlock ? » dit M. Tulkinghorn.

Elle s’assied dans le fauteuil qui est auprès de la table, et regarde fixement le vieil avoué.

« Pourquoi, lui dit-elle, leur avez-vous raconté mon histoire ?

— Parce qu’il était nécessaire de vous informer que j’en avais connaissance, milady.

— Depuis quand la savez-vous ?

— Il y a longtemps que je la soupçonne, mais peu de jours que les détails m’en sont connus. »

Il est debout derrière elle, une main appuyée sur le dos du fauteuil, l’autre dans son vieux gilet noir, et lui parle avec une extrême politesse ; c’est toujours le même homme, froid et sombre, gardant toujours la même distance respectueuse.

« Avez-vous dit la vérité relativement à cette jeune fille ? »

M. Tulkinghorn penche la tête en avant et a l’air de ne pas comprendre la question qui lui est faite.

« Vous vous rappelez vos paroles ? poursuit milady. Est-ce