Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/65

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ses dispositions à mon égard ; cependant, j’étais bien heureuse d’en avoir la certitude ; il m’avait vue et il m’aimait plus qu’auparavant ; dès lors je n’avais rien à regretter.

«  Quels tristes jours nous avons passés, dit-il ; et une petite femme si inflexible !

— N’était-ce pas nécessaire, tuteur ?

— Nécessaire ! répéta-t-il avec tendresse. Enfin, n’en parlons plus ; Éva et moi nous avons été bien malheureux ; la bonne Caroline ne faisait qu’aller et venir pour avoir de vos nouvelles ; tous vos amis étaient au désespoir ; jusqu’à Richard qui a fini par m’écrire, tant son inquiétude était vive.

— Je ne vous comprends pas bien, tuteur ; qu’y a-t-il d’extraordinaire à ce que Richard vous écrive, à vous qui êtes son meilleur ami ?

— Il est bien loin de le penser, petite mère ; il m’a fort bien dit qu’il ne s’adressait à moi qu’en désespoir de cause, parce que c’était l’unique moyen d’avoir de vos nouvelles ; sa lettre, d’ailleurs, est froide, hautaine, presque haineuse ; mais il faut lui pardonner, petite femme ; Jarndyce contre Jarndyce a changé sa nature, et m’a fait perdre la place que j’occupais dans son estime ; j’ai vu souvent de ces choses-là, pis encore. Si deux anges, par malheur, étaient engagés dans cette maudite affaire, je ne doute pas qu’ils n’en vinssent à se haïr un jour.

— Mais ce procès ne vous a pas changé, tuteur ?

— Oh ! que si, dit en riant M. Jarndyce ; combien de fois n’a-t-il pas fait tourner le vent du sud au vent d’est ! Rick éprouve de la défiance, consulte des avoués qui lui apprennent à se défier davantage et à me suspecter de plus en plus. On lui dit que nos intérêts sont opposés, que mes prétentions combattent les siennes, et mille sornettes du même genre. Pourtant Dieu m’est témoin que, si je pouvais sortir de ce procès monstrueux auquel mon nom est fatalement associé ; et, en renonçant à mes droits, anéantir cette montagne de procédure, je le ferais à l’instant même. J’aimerais mieux rendre à ce pauvre Richard l’heureux naturel qu’il avait autrefois, que de palper tout l’argent que les infortunés plaideurs, rompus vifs sur la roue de la chancellerie, ont laissé au grand comptable ; ce qui, pourtant, formerait une somme assez forte pour élever une pyramide en mémoire de la malignité transcendante de la cour.

— Est-il possible, tuteur, demandai-je toute surprise, que Richard ait pu concevoir des soupçons contre vous ?

— Hélas ! ma chère enfant, le poison subtil que renferment de tels abus engendre fatalement cette funeste maladie ; Richard a