Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/81

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enfant de Jenny. Ma vue se troubla, je n’entendais et je ne respirais plus ; mon cœur battait à se rompre, il me semblait que j’allais mourir ; mais quand elle me pressa sur sa poitrine en me couvrant de ses baisers et de ses larmes ; quand elle se mit à mes genoux en criant : « Oh ! mon enfant, mon enfant ! je suis bien coupable, mais aussi bien malheureuse ; oh ! mon enfant, pardonnez-moi ! » quand je la vis se rouler à mes pieds dans toute l’agonie du désespoir, je sentis au milieu de mon égarement une explosion de gratitude que mon cœur adressait à Dieu pour avoir permis que je ne fusse pas un sujet de honte pour ma mère, en détruisant la ressemblance que j’avais avec elle.

Je la pris dans mes bras en la suppliant de se relever et de ne pas s’humilier devant sa fille ; je lui dis, ou j’essayai de lui dire, que, si jamais j’avais eu à lui pardonner quelque chose, il y avait bien des années que je l’avais fait de tout mon cœur ; que je l’aimais de toutes mes forces et d’un amour que rien ne pourrait changer ; que ce n’était pas à moi de lui demander compte de la vie qu’elle m’avait donnée ; que mon devoir était de la bénir, alors même qu’elle serait repoussée de tout le monde, et que je la suppliais d’accepter mon dévouement.

«  Il est trop tard, me répondit-elle en gémissant ; il faut que je continue à suivre seule ma route pleine de ténèbres ; tout est noir autour de moi ; je ne vois pas d’une heure à l’autre et ne distingue pas même ce qui est à mes pieds. C’est le châtiment qu’ici-bas j’ai attiré sur ma tête ; je le supporte et je le cache. »

En disant ces mots, elle retrouva l’air d’orgueilleuse indifférence dont elle se voilait aux yeux de tous ; mais elle le rejeta bien vite et reprit avec douleur :

«  Il faut que mon secret soit gardé, si toutefois il peut l’être. J’ai un mari dont il ferait le déshonneur, misérable que je suis ! »

Elle prononça ces paroles d’une voix étouffée, où l’on sentait plus de désespoir que dans un cri, si déchirant qu’il pût être. Et se couvrant la figure de ses mains, elle s’échappa de mes bras pour retomber à genoux, comme si elle avait voulu m’épargner son contact ; ni mes caresses, ni mes prières ne purent la décider à se relever. « Non, disait-elle, non ; altière et dédaigneuse partout ailleurs, laissez-moi m’humilier pendant le seul instant où je puis être moi-même. »

Elle ajouta qu’elle avait manqué de devenir folle pendant que j’étais malade ; il y avait peu de temps alors qu’elle savait que j’étais sa fille, et avait résolu de venir me trouver pour me parler