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« Cette maison est parfaitement située, » dit tout à coup mistress Pardiggle.

Et fort contente de lui voir changer de conversation, je m’approchai de la fenêtre et lui fis remarquer les beautés du paysage, sur lesquelles ses lunettes me parurent se reposer avec indifférence.

« Vous connaissez M. Gusher ? » reprit-elle aussitôt.

Nous fûmes obligées de répondre que non.

« Vous y perdez beaucoup, répliqua mistress Pardiggle avec un air d’importance ; M. Gusher est un orateur fervent et passionné, dont la parole est pleine de feu. Monté dans une charrette sur cette pelouse, qui, par la disposition des lieux semble naturellement destinée pour un meeting, il pourrait parler pendant des heures entières sur n’importe quel sujet et le développer avec une éloquence saisissante ! Maintenant, jeunes ladies, ajouta mistress Pardiggle, en reculant son fauteuil et en renversant comme par une puissance invisible une petite table ronde où était mon panier à ouvrage et qui se trouvait à l’autre bout du salon, maintenant, j’ose le dire, vous m’avez comprise et jugée. »

À ces paroles embarrassantes, Éva me regarda tout interdite, et ma rougeur exprima trop clairement ma pensée.

« Je veux dire, poursuivit mistress Pardiggle, que vous devez maintenant connaître le trait saillant de ma nature. Il est assez marquant pour être immédiatement découvert ; d’ailleurs je me livre sans réserve et j’avoue franchement que je suis une femme pratique, adonnée aux affaires. J’aime les difficultés et ne redoute pas la peine ; elle m’excite et m’est vraiment salutaire ; je suis accoutumée, endurcie aux travaux pénibles et ne connais pas la fatigue. »

Nous balbutiâmes quelques mots sans suite, exprimant à la fois notre étonnement et les félicitations que nous dictait la politesse.

« Le mot lassitude n’existe pas pour moi, je ne le comprends pas, continua mistress Pardiggle ; vous voudriez me lasser que vous ne le pourriez jamais ; tout ce que je fais (et sans efforts), la quantité d’affaires que j’expédie (et que je regarde comme peu de chose) m’étonne souvent moi-même. J’ai vu M. Pardiggle et ma jeune famille se lasser complétement, rien qu’en me voyant agir, alors que je me sentais aussi vive qu’une alouette. »

Si jamais le sombre visage du fils aîné put exprimer plus de haine malicieuse qu’il ne l’avait fait depuis le commencement de cette visite, ce fut en entendant ces paroles ; et fermant le