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BLEAK-HOUSE

rier du grand monde, fort au courant des allées et venues de la fashion ; quant à savoir les nouvelles d’autre part, ce serait peu fashionable.

Milady Dedlock a énormément souffert dans « son trou, » ainsi qu’elle appelle, entre intimes, son domaine du Lincolnshire. Tout le comté est submergé ; une arche du pont qui est dans le parc a été emportée par les eaux ; la prairie est un lac dont les arbres font les îles, et dont la surface est criblée tout le long du jour par une pluie incessante. Milady s’est mortellement ennuyée ; il a plu si longtemps que les branches, véritables éponges, ne craquent pas même en tombant sous la cognée qui les frappe ; les daims transpercés ne franchissent plus qu’un marais ; le coup de fusil perd son retentissement dans un air trop humide, et sa fumée se dirige lentement vers la colline rayée de pluie. Le ciel passe alternativement de la couleur du plomb à celle de l’encre de Chine. L’eau remplit tous les vases de la terrasse, et tombe sur les larges dalles appelées de temps immémorial le promenoir du revenant, avec un drip drip continuel, que ne supportaient pas les nerfs de milady Dedlock. Le dimanche, la petite chapelle du parc est moisie ; la chaire et les bancs sont inondés de sueur froide, et l’on y sent une vague odeur et comme un arrière-goût des anciens baronnets dont les tombeaux s’y trouvent. Le soir, à l’heure du crépuscule, milady, qui n’a pas d’enfants, a regardé de son boudoir la loge du garde qui est au bout de l’avenue : la lueur du feu sur les vitres, la fumée qui s’élevait de cette maisonnette, un bambin poursuivi par une femme, et courant sous la pluie à la rencontre d’un homme jeune et vigoureux, qui, enveloppé d’un manteau, se dirigeait vers la grille, ont tellement exaspéré milady, qu’elle a perdu patience.

Elle serait morte d’ennui, et c’est pourquoi elle est partie, abandonnant son trou à la pluie, aux corneilles, aux lapins, aux perdrix, aux daims et aux faisans. Les portraits de tous les anciens Dedlock se sont évanouis dans l’ombre où les a plongés la femme de charge en fermant les volets. Quand reparaîtront-ils au jour ? Les nouvellistes fashionables, qui, dans leur omniscience ne connaissent que le passé et pour qui l’avenir est lettre close, ne l’ont pas fait savoir.

Sir Leicester Dedlock est seulement baronnet, mais de tous les baronnets le plus puissant et le plus noble. Sa famille, aussi vieille que les collines, est infiniment plus respectable. Le monde, suivant lui, pourrait marcher sans montagnes, mais non pas sans Dedlocks. Il admet que la nature soit une heureuse