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style académique. Le patron des Armes d’Apollon, voyant la popularité du petit Swills, fait un pompeux éloge du comique ; et ajoute que, pour le chant à caractère, il ne connaît pas son égal, sans compter que cet habile artiste aurait de quoi remplir une charrette de tous ses déguisements.

Le jour s’en va ; l’ombre voile de plus en plus les Armes d’Apollon qui s’effacent pour briller l’instant d’après sous des flots de gaz. L’heure du concert est arrivée ; le chef d’orchestre est à son poste ; le petit Swills est en face de lui, entouré d’amis nombreux, qui sont venus soutenir de leur concours ce talent de premier ordre.

La soirée s’avance, la salle est comble. « Gentlemen, dit le petit Swills, je vais essayer, avec votre permission, de vous représenter une scène de la vie réelle qui a eu lieu dans cette salle aujourd’hui même. » Applaudissements prolongés. Swills disparaît et rentre bientôt avec le costume du coroner dont il a pris les traits ; il raconte l’enquête et entremêle son récit de refrains joyeux, avec accompagnement de piano : « Vive la bouteille, lari don daine, vive la bouteille, lari don don. »

Le piano est enfin silencieux et les amis du petit Swills sont allés retrouver leur oreiller ; tout est calme autour du corps solitaire qui repose maintenant dans sa dernière demeure et que regardent seuls les orbites mystérieux percés dans les volets.

Si, par une vision prophétique, la mère de cet homme abandonné avait pu le voir ainsi, alors que, petit enfant, elle le pressait contre son cœur, et que le cher ange, essayant de s’attacher à son cou, levait des yeux souriants vers son visage plein d’amour, combien l’horrible vision lui eût semblé menteuse. Oh ! si, à une autre époque, la flamme qui était en lui brûla jamais pour une femme qui l’ait aimé, où est-elle, pendant que ces restes sont encore sur la terre !

La nuit est loin d’être calme chez le papetier de Cook’s-Court. Guster en a chassé le sommeil par vingt crises successives, si M. Snagsby ne s’est pas trompé dans son compte. La pauvre fille a le cœur sensible et quelque chose en elle qui aurait pu devenir de l’imagination, n’étaient le bienfaiteur qui afferma sa jeunesse et la paroisse qui l’a recueillie dès sa naissance. Toujours est-il qu’elle a été si vivement impressionnée en entendant M. Snagsby raconter les détails de l’enquête du coroner, qu’au beau moment du souper elle s’est étalée sur le pavé de la cuisine, précédée d’un fromage de Hollande, et n’est sortie d’un accès que pour retomber dans un autre, profitant des courts intervalles qui lui étaient laissés, pour conjurer sa maîtresse de