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Par ce même soleil clair et froid, et par ce même vent de bise, lady Dedlock et le baronnet montent dans leur calèche de voyage pour revenir en Angleterre (la femme de chambre de milady et le domestique favori de sir Dedlock sont tous les deux sur le siége). Au bruit des grelots et des coups de fouet, la voiture attelée de deux chevaux impatients et de deux centaures à grandes bottes, à chapeaux vernis et à queues flottantes, sort de la place Vendôme, passe au galop entre la colonnade bigarrée d’ombre et de soleil de la rue de Rivoli et le jardin du palais fatal qu’ont habité Louis XVI et Marie-Antoinette, franchit la place de la Concorde, les Champs-Élysées, la barrière de l’Étoile : adieu Paris.

Les quatre chevaux qui l’entraînent ne fuiront jamais assez vite ; car, même ici, milady Dedlock s’est ennuyée à périr : soirées, concerts, théâtres, promenades au bois, rien n’offre plus pour elle d’intérêt sous les cieux. Pas plus tard que dimanche dernier, tandis que les pauvres gens s’amusaient dans la ville, jouant avec les enfants au milieu des arbres taillés et des statues des Tuileries ; ou se promenaient, vingt de front, aux Champs-Élysées, rendus plus élyséens par les chevaux de bois et les marionnettes ; pendant, qu’au dehors, entourant Paris d’un cercle joyeux, les autres faisaient l’amour, dansaient, buvaient, fumaient, jouaient aux cartes, au billard, aux dominos, visitaient les cimetières ou écoutaient les charlatans, milady, en proie à un ennui qui la désespère, eut presque un mouvement de haine contre sa femme de chambre dont l’entrain et la vivacité révoltaient sa langueur ; et jamais elle ne quittera Paris assez vite.

Il est vrai que cette fatigue de l’âme, dont milady est accablée, sera partout sur sa route ; mais le seul remède qu’on puisse y apporter, si imparfait qu’il soit, est de fuir sans cesse et de quitter à la hâte le dernier endroit où cette fatigue vous a saisi. Laissons donc Paris derrière nous, échangeons-le pour la route sans fin, croisée par d’autres routes dont l’hiver a dépouillé les arbres ; et ne nous retournons pas avant que l’Arc de triomphe n’apparaisse plus que comme un point brillant au soleil, et la ville comme une simple citadelle, avec deux tours carrées sur lesquelles l’ombre et la lumière descendent obliquement ainsi que les anges dans la vision de Jacob.

Sir Leicester est généralement satisfait de l’existence et ne connaît pas l’ennui ; il peut toujours contempler sa propre grandeur quand il n’a rien de mieux à faire. C’est un immense avantage pour un homme que de posséder un sujet de méditation