Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/179

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Maman ne s’occupe de rien et se moque pas mal de ce qui arrive ! À la place de papa, je m’en irais et je ne reviendrais plus.

— On ne quitte pas comme cela son intérieur et sa famille, répondis-je en souriant.

— Ah ! oui, elle est jolie, la famille de papa, et il a bien raison d’aimer son intérieur ! Des mémoires à payer, du bruit, de la saleté, du gaspillage et de la misère ; des enfants crasseux tombant, criant, dégringolant ; une maison à l’envers comme un jour de lavage, avec cette différence qu’elle n’est jamais lavée. »

Miss Jellyby frappa du pied en s’essuyant les yeux.

«  J’ai tant de chagrin pour papa et de colère contre maman, poursuivit-elle, que je ne trouve pas de mots pour le dire ; je ne le supporterai pas plus longtemps ; j’y suis bien résolue ; je ne veux pas être esclave toute ma vie, et devenir la femme de M. Quale. Une belle chose, en vérité, que d’épouser un philanthrope ; j’en ai assez comme cela, de toute leur philanthropie. »

Je dois avouer que j’éprouvais moi-même une certaine colère contre mistress Jellyby en écoutant sa pauvre fille, dont je savais trop bien que les plaintes étaient fondées.

« Si vous n’aviez pas été si bonne pour moi quand vous avez couché à la maison, reprit miss Jellyby, je ne serais pas venue vous voir ; je ne l’aurais pas osé. Je dois vous paraître si ridicule ! cependant je me suis décidée à venir, d’autant plus qu’il est probable que je ne vous reverrai pas quand vous reviendrez à Londres. »

Elle accompagna ces paroles d’un coup d’œil significatif.

«  J’ai confiance en vous, poursuivit Caroline ; je puis bien vous conter cela ; vous ne me trahirez pas. Je me suis promise à quelqu’un.

— Sans le dire à vos parents ? demandai-je.

— Certainement, répondit-elle avec vivacité. Vous connaissez ma mère, vous savez comme elle est ; et en parler à papa, c’eût été le rendre plus malheureux encore.

— Mais ne croyez-vous pas, au contraire, que ce serait ajouter à ses chagrins, que de vous marier sans son consentement ?

— Non, répliqua-t-elle avec douceur. Il viendra me voir, et je ferai tous mes efforts pour le consoler et pour le rendre heureux. Pepy et les autres viendront aussi et resteront avec moi chacun à leur tour ; ils auront alors quelqu’un pour les soigner. »

La pauvre Caroline avait un grand fonds de tendresse et de sensibilité ; l’image qu’elle se créait d’un intérieur où elle pourrait être utile à son père et à ses frères l’émut tellement, que