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quefois plus que d’amuser ces messieurs, bien que ça les ait fait rire de me voir mettre en prison. Ils me disent que je ferais bien mieux de me taire. Ah ! s’il fallait me contraindre, je deviendrais bientôt fou. J’étais doux et bon autrefois ; dans mon pays on se le rappelle encore ; mais il faut à présent que je donne cours à ma fureur si je veux conserver ma tête. « Monsieur Gridley, me disait le lord chancelier la semaine dernière, il vaudrait mieux pour vous retourner dans le Shrospshire et vous y occuper utilement, que de perdre votre temps ici. — Je le sais, milord, lui ai-je répondu. Je sais aussi qu’il eût été plus heureux pour moi d’ignorer jusqu’au nom de la haute cour. Par malheur, je ne puis détruire le passé, et le passé me contraint à venir ici ! » D’ailleurs, ajouta-t-il en éclatant tout à fait, je veux les faire rougir et me montrer jusqu’à la fin pour qu’ils aient honte d’eux-mêmes ; je veux, à l’heure de ma mort, me faire porter devant eux et leur dire, si j’ai encore assez de voix pour parler : « Vous m’avez appelé ici, et me voilà ; vous m’en avez renvoyé mainte et mainte fois ; chassez-en mon cadavre. »

Sa figure avait si souvent, depuis tant d’années, exprimé la fureur, que sa physionomie ne pouvait plus s’adoucir, alors même que sa colère s’apaisait.

«  J’étais venu, reprit-il, pour chercher les bambins et les emmener dans ma chambre où ils s’amusent tous les deux ; je n’avais pas l’intention de dire tout cela ; mais ça ne fait pas grand’chose. Est-ce que tu as peur de moi, Tom ?

— Non ! répondit le marmot ; c’est pas contre moi que vous êtes fâché.

— Tu as raison, mon enfant ; est-ce que tu t’en vas, Charley ? Oui ? eh bien ! partons tout de suite. » Il prit dans ses bras la petite fille qui se laissa emporter de fort bonne grâce. « Je ne serais pas étonné, lui dit-il, si nous trouvions dans ma chambre un soldat de pain d’épice ; descendons vite pour y aller voir. »

Il fit à mon tuteur un salut assez gauche, mais néanmoins respectueux, s’inclina légèrement devant nous, et sortit du grenier avec les deux enfants.

« N’est-il pas fort curieux, nous dit alors M. Skimpole avec son enjouement ordinaire, de voir la manière dont tout s’enchaîne et les résultats qui en découlent ? Voilà M. Gridley qui possède une force de volonté, une énergie surprenante, et qui, au moral, est une espèce de forgeron toujours prêt à battre l’enclume. Eh bien ! vous n’avez qu’à vous le figurer, à l’époque où il entrait dans la vie, avec cette exubérance de force et de résistance qui ne demandait qu’à se dépenser dans les luttes,