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BLEAK-HOUSE

beaucoup plus âgées que moi, plus spirituelles et plus instruites ; néanmoins ce n’était pas là ce qui semblait nous séparer. L’une d’entre elles m’invita une fois à une petite réunion qui avait lieu chez sa mère ; c’était dans tout le commencement de mon séjour à l’école, et cette invitation me combla de joie ; mais ma marraine écrivit une lettre glaciale où elle refusait pour moi la partie proposée ; je n’y allai pas et je ne sortis jamais. Mon jour de naissance arriva ; on donnait congé à la pension quand venait celui des autres, et il y avait fête dans leurs familles, ainsi que je le leur entendais raconter ; mais de tous les jours de l’année, celui-ci était pour moi le plus ennuyeux et le plus triste.

J’ai dit plus haut que mon intelligence acquiert une certaine pénétration lorsque mon cœur est ému ; si toutefois, je le répète, ce n’est pas une erreur de ma vanité, car je puis être vaine sans le savoir. Mais je suis naturellement affectueuse ; et, si jamais l’insensibilité des autres me fit souffrir, c’est à l’occasion de ce triste anniversaire. Nous avions fini de dîner, et ma marraine et moi nous étions au coin du feu. Le tintement de l’horloge et le pétillement de la flamme étaient le seul bruit qui se fît entendre. Je levai timidement les yeux sur ma marraine ; elle me regardait fixement et d’un air sombre.

« Il vaudrait bien mieux que vous n’eussiez pas de jour de naissance, me dit-elle, et que vous ne fussiez pas née. »

Je fondis en larmes, et à travers mes sanglots :

« Chère marraine, m’écriai-je, dites-le-moi, je vous en prie, est-ce que c’est ce jour-là que maman est morte ?

— Non, répondit-elle, et ne me questionnez pas.

— Oh ! je vous en conjure, parlez-moi d’elle au contraire ; que lui ai-je fait pour qu’elle m’ait abandonnée ? quand est-ce que je l’ai perdue ? pourquoi ne suis-je pas comme tous les autres enfants, et pourquoi est-ce ma faute ?… Oh ! non, non, chère marraine, ne vous en allez pas, je vous en supplie, répondez-moi. »

Outre mon chagrin, j’avais peur ; et la saisissant par sa robe, je tombai à ses pieds. Ma marraine s’arrêta ; son visage pâle et sévère produisit un tel effet sur moi, que la parole me manqua ; mes petites mains tremblantes, que je tendais vers elle pour l’implorer, retombèrent sous l’influence de son regard et se posèrent sur mon cœur ; elle me releva, alla se rasseoir, et me faisant rester debout, — je vois encore son doigt tendu et ses sourcils contractés :

« Esther, me dit-elle froidement et d’une voix lente et basse, votre mère fait votre honte, ainsi que vous êtes la sienne. Un