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brir en s’attachant sur Éva ; et je me rappelai celui qu’il avait jeté sur elle et sur Richard le soir de notre arrivée, tandis qu’elle chantait à la lueur vacillante du foyer. Peu de temps s’était écoulé depuis le jour où il les avait suivis des yeux traversant la chambre voisine, tout inondée de lumière, et disparaissant dans l’ombre ; mais aujourd’hui son regard n’était plus le même, et celui qu’il m’adressa en la voyant s’éloigner n’avait plus ce calme et cette confiance qu’il exprimait autrefois.

Quand nous fûmes dans notre chambre, Éva me fit l’éloge de Richard avec plus d’insistance que jamais. Elle n’ôta pas pour se coucher le petit bracelet qu’il lui avait donné ; et je crois qu’elle rêvait de lui quand, une heure après, je l’embrassai tout doucement sur la joue ; elle était si tranquille et avait l’air si heureux !

Moi, je n’avais point du tout envie de dormir, et je repris mon ouvrage. Circonstance bien peu importante en elle-même ! mais enfin je n’avais point sommeil et j’étais un peu ennuyée. Je ne sais pas pourquoi. Du moins je crois que je ne sais pas pourquoi… ou si je le sais, ce n’est pas la peine de le dire.

Quoi qu’il en soit, je résolus de travailler avec tant d’ardeur que je n’eusse pas le loisir de m’abandonner à ma tristesse ; et il était bien temps, car en levant les yeux sur ma glace, je me vis sur le point de fondre en larmes.

«  Eh quoi, Esther ! m’écriai-je, vous triste et malheureuse lorsque tout semble concourir à votre bonheur, ingrate que vous êtes ! »

Et prenant dans mon panier une tapisserie que je faisais pour Bleak-House, je me promis de travailler jusqu’au moment où, mes yeux se fermant d’eux-mêmes, j’irais enfin me coucher.

Bientôt mon ouvrage m’absorba tout entière ; mais j’avais laissé l’une de mes soies dans le cabinet de M. Jarndyce, et ne pouvant plus rien faire sans le peloton qui me manquait, je pris ma bougie et descendis tout doucement pour aller le chercher. À ma grande surprise, je retrouvai mon tuteur auprès de la cheminée, regardant les cendres, et plongé dans une méditation profonde. Son livre, fermé, était à côté de lui ; et ses cheveux étaient épars sur son front ; son visage était pâle, et je serais partie sans lui rien dire, s’il ne m’eût aperçue.

«  Esther ! » s’écria-t-il en tressaillant.

Je lui dis ce que j’étais venue chercher.

«  Si tard à l’ouvrage, mon enfant ?

— Je n’aurais pas pu dormir, et j’ai mieux aimé ne pas me