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mais, avec tout cela, loin d’être honteux de son inconstance, il s’admirait de s’être enfin décidé cette fois pour tout de bon. Il y mettait tant d’ingénuité, et se montrait en même temps si plein de verve et d’entrain, si passionné pour Éva, qu’il eût été difficile de ne pas lui faire bonne mine.

« Quant à M. Jarndyce, qui, par parenthèse, se plaignait pendant tout ce temps-là du vent d’est ; quant à M. Jarndyce, disait Richard, c’est bien le meilleur de tous les hommes ; et ne fût-ce que pour lui plaire, dame Durden, je travaillerais d’arrache-pied et jusqu’au bout, pour mener à bonne fin mes études nouvelles. »

L’idée seule de le voir s’appliquer sérieusement à une étude quelconque formait un singulier contraste avec sa figure enjouée, et semblait une bizarre anomalie avec l’insouciance de ses manières. Il nous disait pourtant, lorsqu’il venait nous voir, qu’il travaillait au point de ne pas comprendre comment ses cheveux n’en avaient pas blanchi. C’est alors qu’il abandonna M. Badger pour entrer chez Kenge et Carboy vers le milieu de l’été.

Nous le retrouvons à cette époque, en fait d’argent, ce qu’il était autrefois : généreux, prodigue, follement imprévoyant et persuadé néanmoins qu’il mettait dans ses dépenses tout l’ordre imaginable. Un jour, que je disais devant lui à Éva, d’un ton moitié plaisant, moitié sérieux, qu’il lui faudrait au moins la bourse du prince Fortuné :

«  Mon bijou de cousine, vous entendez cette vieille femme, s’écria-t-il ; savez-vous pourquoi elle vous dit cela ? parce que j’ai payé dernièrement un certain habit, avec les boutons, huit livres et quelques schellings ; notez bien, que si j’étais resté chez le docteur, il m’aurait fallu en donner douze pour suivre un cours nauséabond ; j’ai donc gagné à cela quatre livres d’un seul coup. »

Nous agitâmes longtemps, mon tuteur et moi, la question de savoir quels arrangements nous prendrions pour son établissement à Londres pendant les quelques mois qu’il passerait chez Kenge à titre de noviciat ; car, depuis lors, nous étions rentrés à Bleak-House, et la distance ne lui permettait pas d’y venir plus d’une fois par semaine.

« Si Richard, me disait M. Jarndyce, avait réglé avec M. Kenge et devait suivre définitivement la nouvelle carrière où il désire entrer, il prendrait un appartement complet où nous pourrions de temps à autre aller passer quelques jours ; mais, petite femme, ajoutait mon tuteur en se frottant la tête d’une