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Lady Dedlock avait donné la main à mon tuteur avec une nonchalance qui paraissait lui être ordinaire, et lui avait parlé d’une voix également, indifférente, mais harmonieuse et douce. Elle était aussi gracieuse que belle, parfaitement digne et maîtresse d’elle-même ; et je pensai qu’elle aurait pu gagner tous les cœurs si elle avait trouvé qu’ils en valussent la peine. Le garde lui apporta une chaise qu’il plaça au milieu du porche, où elle s’assit entre nous.

«  Le jeune homme pour lequel vous avez écrit à sir Leicester, qui regretta vivement de ne pouvoir être utile à ce gentleman, a-t-il choisi une carrière ? demanda-t-elle à M. Jarndyce par-dessus son épaule.

— Oui, milady ; j’espère du moins qu’il continuera celle qu’il a embrassée. »

Elle paraissait avoir du respect pour mon tuteur, et désirer même de se concilier ses bonnes grâces. Il y avait une séduction puissante dans ses manières hautaines, qui devinrent plus familières, je dirais presque aisées et naturelles, si elle n’avait pas affecté de lui parler par-dessus l’épaule.

«  Je présume que cette jeune fille est miss Glare, votre seconde pupille ? »

M. Jarndyce présenta Éva dans toutes les formes.

« Vous perdrez la réputation de don Quichotte que vous vous étiez faite, dit-elle en parlant (toujours par-dessus son épaule,) si vous ne redressez les torts que de beautés comme celle-ci ; mais présentez-moi également cette jeune lady, poursuivit-elle en se tournant en face de moi.

— Miss Summerson est réellement ma pupille, répliqua mon tuteur ; je ne réponds d’elle à aucun chancelier.

— A-t-elle perdu ses parents ?

— Oui, milady.

— Elle est fort heureuse au moins d’avoir un pareil tuteur. »

Lady Dedlock me regarda en disant ces paroles ; nos yeux se rencontrèrent ; tout à coup elle détourna les siens, qui exprimèrent presque le déplaisir ou l’aversion, et s’adressa de nouveau à M. Jarndyce, toujours sans tourner la tête.

«  Des siècles se sont écoulés depuis l’époque où nous avions l’habitude de nous rencontrer, monsieur Jarndyce, reprit-elle.

— Il y a bien longtemps en effet, répondit mon tuteur ; du moins cela m’avait paru bien long quand je vous ai vue dimanche dernier.

— Et vous aussi, dit-elle avec dédain, vous voilà courtisan ? Peut-être pensez-vous qu’il est nécessaire de le devenir avec