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connaissance. Permettez-moi de renvoyer le phaéton pour vos deux pupilles ; dans un instant il sera de retour. »

Nous refusâmes cette offre, malgré toute l’insistance qu’elle voulut bien y mettre ; milady prit alors gracieusement congé d’Éva, ne me fit pas même le plus léger salut, posa la main sur le bras qu’avançait mon tuteur, et monta dans le phaéton : c’était une petite voiture de parc très-basse et à capote.

«  Montez avec moi, petite, j’aurai besoin de vous, » dit milady à la charmante jeune fille.

Le phaéton s’éloigna, et la femme de chambre resta debout à la place où elle était descendue, ayant sur le bras le manteau qu’elle avait apporté pour couvrir milady.

J’imagine que rien ne déplaît aux orgueilleux comme l’orgueil qu’ils rencontrent chez les autres, et que l’air impérieux de la Française avait été la cause de sa disgrâce. Toutefois, la revanche qu’elle prit de cette mortification me sembla bien singulière ; elle demeura immobile jusqu’au moment où le phaéton eut disparu ; défaisant alors ses souliers avec le plus grand calme, elle les laissa par terre et marcha délibérément sur l’herbe mouillée en suivant la direction que la voiture avait prise.

«  Cette jeune femme est-elle folle ? demanda mon tuteur.

— Non, monsieur, répondit le garde, qui, avec sa femme, suivait des yeux la femme de chambre. Hortense a une fameuse tête, au contraire ; mais elle est furieusement fière, et n’est pas fille à se laisser mettre de côté et à voir les autres passer devant elle sans joliment enrager.

— Mais pourquoi a-t-elle défait ses souliers pour marcher dans l’eau ? dit encore mon tuteur.

— Peut-être pour se rafraîchir, répondit le garde.

— Ou bien parce qu’elle prend cette eau-là pour autre chose, ajouta sa femme : du sang peut-être. Elle traverserait aussi bien un flot de sang qu’un ruisseau, quand sa tête est montée. »

Quelques minutes après nous passions à côté du château, qui nous parut encore plus paisible que le jour où nous l’avions aperçu pour la première fois. La brise soufflait doucement autour de ses murs ; le soleil faisait étinceler comme des diamants les gouttes de pluie qui tremblaient sur les pierres et les feuilles ; les oiseaux, silencieux un instant, recommençaient à chanter avec ardeur ; et, devant la porte, brillait, comme un char de fée, le petit phaéton ouvré d’argent qu’avait pris milady. Au milieu de ce paysage rempli de calme et de douceur, Mlle Hortense se dirigeait vers le château d’un pas ferme, le visage impassible et les pieds nus sur l’herbe toute mouillée.