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BLEAK-HOUSE

Et M. Kenge se renversa sur sa chaise avec une satisfaction évidente ; mais, en dépit de tous les renseignements qu’il venait de me donner, je ne comprenais pas davantage ce dont il était question.

« Et vraiment elle n’a jamais entendu parler de ce procès ? dit encore M. Kenge ne revenant pas de sa surprise.

— Miss Barbary, monsieur, qui est maintenant avec les séraphins, répondit mistress Rachaël….

— Je n’en doute pas, interrompit M. Kenge.

— Miss Barbary désirait qu’Esther connût seulement ce qui pouvait lui être utile.

— Très-bien, dit M. Kenge, c’est on ne peut plus convenable ; mais abordons maintenant l’affaire qui nous occupe. Comme miss Barbary, votre seule parente, ma chère enfant (parente de fait, comme je l’ai déjà dit, car devant la loi, je le répète, vous êtes sans parenté aucune), est décédée, et que nous ne pouvons pas naturellement nous attendre à ce que mistress Rachaël….

— Certes, non, dit vivement celle-ci.

— Assurément, répliqua M. Kenge d’un ton affirmatif ; ne pouvant donc nous attendre à ce que mistress Rachaël se charge de votre entretien et de votre nourriture (je vous supplie encore une fois de ne pas vous désoler), vous vous trouvez dans la position de recevoir et d’accepter une offre que j’avais été chargé de faire à miss Barbary pour vous il y a deux ans, et qui fut rejetée alors, mais, sous toutes réserves qu’elle pourrait vous être faite de nouveau dans la triste circonstance où vous êtes aujourd’hui. Maintenant, en vous avouant que je représente, dans Jarndyce contre Jarndyce et ailleurs, un homme à la fois excellent et bizarre, dois-je craindre de me compromettre et de sortir des limites que m’impose la prudence de ma profession ? » dit M. Kenge, se renversant sur son fauteuil et nous regardant l’une et l’autre avec calme.

M. Kenge semblait prendre un plaisir indicible à s’écouter parler ; ce qui, d’ailleurs, n’avait rien d’étonnant, car sa voix était pleine, harmonieuse, et donnait une grande valeur à ses paroles. Dans la satisfaction qu’il éprouvait à s’entendre, il battait parfois la mesure avec sa tête, ou bien accompagnait d’un geste circulaire ses périodes arrondies. L’impression qu’il produisit sur moi fut très-vive, même avant que j’eusse appris qu’il avait pour modèle un noble lord son client, et qu’on l’avait surnommé Kenge le beau diseur.

« M. Jarndyce, poursuivit-il, connaissant la position fâcheuse, l’abandon, oserai-je dire, de notre jeune amie, offre de