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et le redressant comme il aurait fait d’une poupée, semble partagé entre l’intention d’être utile au vieillard et le désir beaucoup plus violent de faire rendre l’âme au vieux ladre en le secouant de la bonne manière, une fois pour toutes ; mais il résiste à cette vive tentation, et se contente d’agiter le père Smallweed assez vigoureusement pour que le chef du bonhomme roule sur ses épaules comme la tête d’Arlequin : puis il l’assied dans son fauteuil, et lui frotte si bien les oreilles en lui rajustant son bonnet noir sur le crâne, que le vieux ladre cligne des yeux quelques minutes encore après l’opération.

« Ah ! mon Dieu ! balbutie M. Smallweed ; assez comme ça ; merci, mon cher ami ; assez, assez ; miséricorde ! Je n’en peux plus. Seigneur mon Dieu ! »

M. Smallweed n’était pas sans éprouver des craintes assez vives sur les intentions de M. Georges, dont la stature ne lui avait jamais paru plus colossale. Néanmoins l’ancien soldat reprend sa pipe, fait tournoyer la fumée autour de lui, et se console en disant tout bas : « Le nom de votre ami de la Cité commence par un D, camarade, et vous avez cent fois raison de vous défier de lui comme du Diable.

— Parlez-vous, monsieur Georges ? » demande M. Smallweed. Le troupier fait un signe affirmatif et continue à fumer ; il regarde M. Smallweed avec attention, et de temps en temps il écarte le nuage dont il est environné, afin de voir plus distinctement la figure du vieux ladre.

« Je parie, dit-il en portant son verre à ses lèvres, que je suis le seul individu, mort ou vif, à qui vous ayez jamais donné une pipe et un verre d’eau ?

— Il est vrai, répond le vieillard, que je ne vois pas beaucoup de monde, et que je ne traite jamais personne ; mes moyens ne me le permettraient pas ; mais comme vous avez fait de votre pipe une condition…

— Ah ! ce n’est pas pour la valeur du tabac, mais pour la rareté du fait ; une idée qui m’est venue de tirer quelque chose de vous en échange de mon argent.

— Vous êtes un habile homme, monsieur Georges, un habile homme, dit le grand-père Smallweed en se frottant les jambes.

— Oui, je l’ai toujours été ;… pouf… c’en est une preuve d’avoir trouvé le chemin qui m’a conduit ici,… pouf… et d’en être arrivé là,… pouf… Je suis vraiment fort habile et connu pour ça, répond M. Georges en fumant avec calme ; aussi vous voyez comme cela m’a bien réussi.