Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/288

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Et ces deux raisons, monsieur Georges ?

— La première, répond l’ancien soldat, c’est que vous m’avez mis dedans ; vous annoncez que M. Hawdon (capitaine Hawdon, si vous tenez à bien dire), est invité à se rendre à tel endroit, pour y recevoir communication de nouvelles avantageuses pour lui.

— Eh bien ? dit aigrement le vieillard.

— Eh bien ! je ne vois pas quel avantage c’eût été pour le capitaine, que d’être mis en prison par le tribunal de commerce.

— Et qu’en savez-vous ? Peut-être que dans ce cas-là un de ses riches parents aurait payé ses dettes, ou du moins se serait entendu avec ses créanciers ; mais c’est lui, au contraire, qui nous a fourrés dedans. Il nous devait une somme énorme, le misérable ! Quand je pense à lui, dit le vieillard en grinçant des dents et en levant ses dix doigts impotents, j’éprouve encore le besoin de l’étrangler. »

Et, dans sa fureur, il jette à sa femme endormie le coussin qui est près de lui, et qui va tomber à côté du fauteuil de la grand’mère sans atteindre le but que visait M. Smallweed.

« Vous n’avez pas besoin de me dire que le capitaine était ruiné, répond l’ancien soldat en ôtant sa pipe de ses lèvres et en détournant les yeux du coussin, qu’il a suivi dans son vol : je me suis trouvé plus d’une fois à sa droite, à l’époque où il galopait à sa ruine ; j’étais là quand il ne vit plus autour de lui que le désespoir, et c’est ma main qui détourna le pistolet qu’il appuyait sur son front.

— Je regrette que vous l’ayez arrêté, dit l’excellent vieillard, et qu’il n’ait pas fait de son crâne autant de morceaux qu’il devait de livres.

— Il y en aurait eu beaucoup, répond froidement l’ancien troupier ; quoi qu’il en soit, je l’ai connu jeune, élégant, plein d’espoir et d’avenir, et je suis bien aise de ne pas vous avoir aidé à lui faire cette communication avantageuse dont vous parliez alors : c’est ma première raison.

— J’espère que la seconde est aussi bonne que la première, dit le vieillard entre ses dents.

— Pourquoi pas ? elle est fondée sur l’égoïsme ; car il m’aurait fallu, pour le retrouver, aller dans l’autre monde, puisqu’il y était déjà.

— Comment savez-vous ça ?

— Ne perdez pas patience comme vous avez perdu votre argent, monsieur Smallweed, répond M. Georges en faisant tomber les cendres de sa pipe ; il y avait déjà longtemps que le capitaine