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nous était arrivé bien rarement de passer devant la loge où nous nous étions abrités le jour de l’orage sans y entrer pour parler à la femme du garde ; mais, nous ne vîmes plus lady Dedlock, si ce n’est le dimanche à l’église. Il y avait beaucoup de monde à Chesney-Wold, et, malgré les charmants visages dont milady était entourée, sa vue produisait toujours le même effet sur moi. Je ne pourrais pas dire, même à présent, si cette impression était pénible ou agréable ; si je me sentais attirée vers elle ou si j’éprouvais le besoin de la fuir ; je sais seulement qu’en sa présence mes pensées se reportaient en arrière et que je me revoyais aux premières années de ma vie.

Plusieurs fois il me sembla que j’exerçais sur elle une influence analogue ; c’est-à-dire qu’elle partageait, en me regardant, ce trouble singulier qu’elle faisait naître en moi ; mais, lorsque ensuite je la voyais si calme et si fière, cette idée me paraissait une folie ; je me reprochais ma faiblesse et je faisais tous mes efforts pour surmonter mon émotion.

Je dois noter ici un fait peu important qui arriva pendant notre séjour chez M. Boythorn.

Je me promenais dans le jardin avec Éva, lorsqu’on vint me dire qu’une personne demandait à me parler. Je me rendis immédiatement dans la salle à manger où elle m’attendait, et j’y trouvai la femme de chambre de milady, cette Française qui avait défait ses souliers pour marcher dans l’herbe mouillée le jour du fameux orage.

«  Mademoiselle, me dit-elle en fixant sur moi son regard vif et dur, mais du reste avec un extérieur agréable et parlant sans hardiesse comme sans servilité ; j’ai pris une grande liberté en venant ici, mais vous êtes si bonne, mademoiselle, que vous voudrez bien m’excuser.

— Vous n’avez pas besoin d’excuse, répondis-je ; on m’a dit que vous désiriez me parler ?

— Oui, mademoiselle ; je vous remercie mille fois d’avoir bien voulu me recevoir ; vous permettez, n’est-ce pas ?

— Certainement, lui dis-je.

— Mademoiselle est si aimable ! veuillez donc m’écouter, s’il vous plaît. J’ai quitté milady ; nous ne nous accordions pas ; milady est si hautaine !… Pardon, mademoiselle ; vous avez raison, dit-elle vivement en pénétrant ma pensée ; il ne m’appartient pas de me plaindre de milady ; mais pourtant elle est si fière ! Je n’en dirai plus un mot ; du reste, tout le monde le sait.

— Et que vouliez-vous me demander ? lui dis-je.