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pouvaient s’y trouver. « Je crains de vous avoir surprise le jour de l’orage, » me dit-elle en prenant congé de moi.

Je lui avouai qu’elle nous avait fort étonnés.

«  C’est un serment que je me fis alors à moi-même, répondit-elle en souriant ; j’ai voulu le graver dans ma mémoire afin de me le garder fidèlement, et c’est à quoi je ne manquerai pas ! Adieu, mademoiselle. »

Ainsi se termina cet entretien que je fus enchantée de voir finir. Je suppose que Mlle Hortense quitta le village peu de temps après, car je ne la revis plus ; et nul autre incident ne vint troubler nos plaisirs jusqu’au jour où nous rentrâmes à Bleak-House, après six semaines d’absence, comme je l’ai dit plus haut.

Richard, à cette époque, était fort exact à venir nous visiter ; non-seulement il arrivait le samedi soir ou le dimanche matin pour ne repartir que le lundi, mais il venait souvent à cheval sans être attendu, passait la soirée avec nous et repartait le lendemain matin de bonne heure. Vif et enjoué comme toujours, il nous disait qu’il se donnait beaucoup de peine et travaillait énormément, ce qui ne me rassurait pas à son égard ; il me semblait que toute cette ardeur était mal employée, qu’elle ne le conduirait à rien si ce n’est à nourrir des illusions fatales attachées à ce procès, cause pernicieuse de tant de chagrin et de ruine. Il avait pénétré, disait-il, jusqu’au fond de ce mystère et ne doutait pas que le testament, en vertu duquel Éva et lui devaient recevoir je ne sais combien de mille livres, ne fût enfin confirmé, s’il restait encore chez ses juges le moindre bon sens ou la moindre équité. Mais combien ce si paraissait gros à mon oreille, et que de temps pouvait s’écouler avant d’atteindre cette heureuse conclusion ! Quant à lui, chaque jour augmentait son espoir et le changeait en certitude ; il commençait à fréquenter la chancellerie et nous racontait qu’il y voyait miss Flite, qu’ils causaient ensemble et qu’elle avait pour lui mille et mille politesses ; qu’il ne pouvait s’empêcher de rire des manies de la pauvre folle, mais qu’en même temps il la plaignait de tout son cœur. Il ne pensait pas alors, pauvre Richard, il ne pensa jamais, lui qui était si confiant dans l’avenir, si bien fait pour le bonheur et si capable de le ressentir, qu’une chaîne fatale rivait sa jeunesse brillante aux jours flétris de la vieille fille, que ses rêves d’espérance et les oiseaux en cage de la plaideuse avaient le même destin ; il ne songeait pas assez, pauvre Richard, à la misère, à la folie de miss Flite.

Mais Éva l’aimait trop pour douter de ses paroles ; et mon