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servai avec douleur que, depuis cette époque, il n’eut jamais avec M. Jarndyce, le même abandon qu’autrefois. Quant à mon tuteur, ses sentiments et ses manières restèrent toujours les mêmes ; ce fut seulement du côté de Richard que vint la froideur, qui s’augmenta chaque jour et qui grandit au point de les séparer complétement.

Les préparatifs du départ et les soins qu’exigea son équipement furent néanmoins pour Richard une distraction puissante, qui lui fit oublier jusqu’au chagrin qu’il avait eu de quitter sa cousine, restée à Bleak-House, tandis que nous étions venus, mon tuteur et moi, passer à Londres une semaine avec lui. Il pensait à elle par accès, fondait en larmes et me confiait tous les reproches qu’il s’adressait alors ; mais, au bout de quelques minutes, il évoquait je ne sais quel plan d’avenir qui devait à la fois leur donner le bonheur et la fortune, et retrouvait toute sa gaieté.

Ce fut une semaine excessivement occupée. Je trottais avec lui du matin jusqu’au soir pour faire emplette d’une foule de choses dont il avait besoin ; je ne dis rien de celles qu’il aurait achetées s’il avait été seul. Il avait pleine confiance en moi, et parlait de ses torts d’une manière si touchante, il m’exprimait ses bonnes résolutions avec tant d’ardeur, et puisait tant de courage, m’assurait-il, dans ces conversations, que j’oubliais aisément la fatigue de ces courses multipliées.

À cette époque il venait tous les jours à la maison, pour faire des armes avec Richard, un ancien soldat qui autrefois avait servi dans la cavalerie. C’était un bel homme, à l’air brave, aux manières dégagées, que Richard avait déjà eu pour professeur. J’avais entendu non-seulement ce dernier, mais encore M. Jarndyce parler si souvent de lui, qu’un matin je pris exprès mon ouvrage pour aller le voir et m’installai dans la pièce où il était reçu d’ordinaire.

«  Bonjour, monsieur Georges, dit mon tuteur qui se trouvait seul avec moi lorsque arriva l’ancien soldat ; M. Carstone va venir. En attendant, miss Summerson sera enchantée de faire connaissance avec vous. Veuillez donc vous asseoir. »

Il prit une chaise, un peu déconcerté par ma présence, et passa plusieurs fois sa main hâlée sur sa lèvre supérieure sans tourner les yeux de mon côté.

«  Vous êtes aussi exact que le soleil, lui dit M. Jarndyce.

— Heure militaire, monsieur, répondit-il ; la force de l’habitude ; car c’est pure habitude, ce n’est pas que je sois pressé par les affaires.