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BLEAK-HOUSE

pour moi, je ne devais pas permettre que l’on pût s’y tromper. Je me calmai donc peu à peu, et je finissais de me bassiner les yeux avec de l’eau de lavande quand il me sembla qu’on apercevait Londres. Dix mille à peine, et je supposais que nous serions arrivés ; quand les dix mille furent franchis, il me parut, au contraire, qu’on n’arriverait jamais. Cependant quand je me sentis cahoter sur le pavé et que je vis le nombre des voitures s’accroître au point que je crus à chaque instant que la diligence allait écraser toutes celles qu’elle rencontrait, ou se faire briser par elles, je supposai que nous approchions du terme de notre voyage ; et peu après, effectivement, nous étions arrivés.

Un jeune homme, taché d’encre, accident assez ordinaire dans son état, m’adressa la parole dès que j’eus quitté la voiture :

« De la part de Kenge et Carboy de Lincoln’s Inn, me dit-il ; c’est vous, n’est-ce pas, mademoiselle ?

— Oui, monsieur, » répondis-je.

Il se montra fort obligeant et me donna la main pour monter dans un fiacre, après s’être occupé d’y faire placer mes bagages.

« Le feu serait-il quelque part ? lui demandai-je ; car les rues étaient remplies d’une fumée si épaisse qu’on distinguait à peine les objets les plus proches.

— Oh ! du tout, mademoiselle ; c’est une des particularités de Londres ; un de ses brouillards, répondit le gentleman.

— Vraiment ! » lui dis-je. Et nous traversâmes les rues les plus sombres et les plus boueuses qu’on puisse imaginer, et si bruyantes et tellement obstruées, que je me demandais comment on pouvait n’y pas perdre la tête. Enfin, après avoir franchi une vieille porte, nous nous trouvâmes tout à coup dans une espèce de grande cour déserte et silencieuse, où notre voiture s’arrêta dans un enfoncement situé à l’un des angles et dont l’entrée, semblable au portail d’une église, donnait sur un large perron ; un cimetière se trouvait là, car je reconnus sous un des cloîtres, par la fenêtre de l’escalier, des pierres tumulaires.

C’était la demeure de Kenge et Carboy ; le jeune homme qui me servait de guide m’introduisit dans le cabinet de M. Kenge ; personne ne s’y trouvait ; il m’offrit poliment un fauteuil qu’il approcha du feu et attira mon attention sur un petit miroir appendu à l’un des côtés de la cheminée.

« C’est dans le cas où vous voudriez jeter un coup d’œil sur votre coiffure, comme vous devez être admise en présence du grand chancelier ; quoique, du reste, ce ne soit nullement nécessaire, ajouta le gentleman avec une parfaite courtoisie.