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BLEAK-HOUSE

l’une auprès de l’autre, causant ensemble à la lueur d’un bon feu avec autant d’abandon que si nous nous étions toujours connues.

De quel poids je me sentais délivrée ! et quel bonheur de sentir que je lui inspirais toute confiance et qu’elle pourrait m’aimer !

Le jeune homme, son parent éloigné, me dit-elle, et qui s’appelait Richard Carstone, était d’une taille élégante ; son visage respirait la loyauté, et son rire franc et joyeux vous gagnait tout d’abord. Sur l’invitation de sa cousine, il vint s’asseoir auprès de nous, et se mit à causer d’un ton vif et enjoué. Il avait à peine dix-neuf ans, deux ans de plus qu’elle. Orphelins tous les deux, ils ne se connaissaient pas, malgré leur parenté. N’était-il pas étrange que nous fussions réunis tous les trois, pour une première entrevue, dans un lieu où d’habitude on ne se rencontre guère ? Cette remarque ne pouvait nous échapper, et tandis que nous en jasions, le feu mourant, dont la flamme se réveillait par intervalles, semblait cligner sur nous ses yeux rouges, comme un vieux chancelier qui s’endort, à ce que disait Richard.

De temps en temps un gentleman en robe et en perruque entrait dans la chambre où nous étions, et en ressortait aussitôt ; nous entendions alors, par la porte entr’ouverte, le son d’une voix traînante, celle de notre avocat s’adressant au grand chancelier, à ce que nous dit le gentleman qui annonça enfin à M. Kenge que celui-ci ne tarderait pas à paraître. Un bruit confus s’éleva bientôt ; des pas nombreux retentirent, l’audience était levée et le lord chancelier nous attendait dans la pièce voisine où le gentleman en perruque nous introduisit immédiatement : là, tout habillée de noir, assise dans un grand fauteuil auprès d’une petite table et à côté du feu, était Sa Seigneurie, dont la robe galonnée d’or avait été déposée sur une chaise. Elle jeta sur nous un regard scrutateur, mais nous reçut néanmoins avec politesse et bonté. Le gentleman en perruque posa sur la petite table plusieurs monceaux de paperasses, parmi lesquels Sa Seigneurie choisit en silence un cahier qu’elle se mit à feuilleter.

« Miss Clare ? » dit milord à M. Kenge.

Celui-ci présenta ma jeune amie au grand chancelier qui la fit asseoir auprès de lui ; je ne doutais pas que milord ne ressentît pour elle tout l’intérêt qu’elle méritait si bien. Évidemment Sa Seigneurie admirait la beauté de sa pupille, mais je ne pouvais me défendre d’une émotion pénible en voyant le foyer paternel d’une si charmante créature représenté par ce lieu banal et ces formes judiciaires ; le grand chancelier lui-même