Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/351

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— Qu’est-ce que ça leur faisait ? tu n’es pas plus mal qu’un autre.

— Oh ! si, gouv’neur, au contraire, reprend Phil en secouant la tête ; j’étais passable quand j’ai parti avec le chaudronnier, et pourtant y avait pas d’quoi se vanter ; mais à force de souffler le feu avec ma bouche, et d’me gâter la piau, et d’me griller les cheveux, et d’avaler d’la fumée ; et pis d’être malheureux naturellement, et de m’attraper à tout ; contre l’fer rouge, l’étain bouillant, n’importe quoi, et d’en garder les marques ; et d’tomber avec le chaudronnier quand il avait trop bu et que je l’ramenais d’loin, c’qui arrivait tous les jours, c’était déjà dans ce temps-là une drôle de beauté qu’la mienne ; et depuis, que j’suis resté douze ans dans une forge où c’que les ouvriers aimaient à rire, et que j’ai été brûlé dans un accident où c’que j’travaillais au gaz ; et, qu’après ça, en faisant des cartouches pour des artificiers, la poudre m’a fait sauter par la fenêtre, j’suis devenu assez laid pour qu’on me montre comme une curiosité. »

Parfaitement résigné à sa laideur, qui ne paraît pas lui déplaire, Phil demande une seconde tasse de café, et la boit en disant :

«  C’est après c’t accident-là que vous m’avez rencontré ; vous en souvenez-vous, governeur ?

— Oui, Phil, tu te promenais au soleil.

— Dites donc que j’rampais contr’un mur.

— C’est vrai, Phil, tu te frottais à la muraille.

— En bonnet de nuit ! s’écrie le petit homme avec animation.

— En bonnet de nuit.

— Et clopinant sur une paire de béquilles, continue Phil de plus en plus animé.

— Sur une paire de béquilles.

— Et qu’vous vous arrêtez pour me dire… vous savez ben, s’écrie le petit homme en posant sur la table sa soucoupe et sa tasse et en ôtant l’assiette qui est restée sur ses genoux : « Camarade, que vous m’dites, tu as donc fait la guerre ? » Je n’réponds pas grand’chose, la surprise m’étouffait ; un homme comme vous, si fort et si fièrement bâti, s’arrêter pour parler à une mauvaise carcasse boiteuse, car j’n’étais vraiment qu’ça. Mais v’là q’vous m’dites, et d’si bon cœur, qu’c’était comme un verre de queuqu’chose de chaud sur l’estomac : « Qu’est-ce qui t’est donc arrivé, mon camarade ? tu es gravement blessé ; voyons, qu’as-tu ? Du courage et conte-moi ça ! » Du courage ! governeur, ah ! j’en avais ben r’trouvé, à preuve qu’j’vous dis c’qui en est, et qu’vous