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droit s’enorgueillir, mais dont il serait injuste d’attribuer le mérite à elle seule, car il prouve autant de qualités chez le maître qu’il en exige de la part du serviteur. »

Sir Leicester s’ébroue un peu en entendant cette déclaration de principes ; mais il a trop d’honneur et de loyauté pour ne pas admettre la justice des paroles du maître de forges.

« Pardonnez-moi, continue celui-ci, de vous entretenir de choses trop connues pour avoir besoin qu’on les rappelle ; mais je ne voudrais pas qu’on pût supposer que je rougis de la position de ma mère, ou que je manque au respect que méritent Chesney-Wold et la famille. J’aurais certainement désiré, milady, qu’après tant d’années de travail ma mère se retirât du service et vînt finir ses jours avec moi ; mais j’ai compris que ce serait briser son cœur que de l’arracher d’ici, et j’ai depuis longtemps abandonné ce projet. »

La fierté de sir Leicester se révolte de nouveau à l’idée de voir mistress Rouncewell quitter sa demeure pour aller finir son existence chez un maître de forges !

« J’ai commencé ma carrière, poursuit l’industriel, par être simple ouvrier ; j’ai vécu pendant longtemps du salaire que me rapportaient mes bras, et il m’a fallu faire mon éducation moi-même. J’ai épousé la fille d’un contre-maître, élevée comme moi, très-simplement ; mais nous avons trois filles en outre du fils dont je parlais tout à l’heure, et pouvant heureusement leur donner l’instruction qui nous avait manqué, nous avons mis toute notre joie et tous nos soins à les rendre dignes de n’importe quelle position sociale. »

Un certain orgueil paternel qui perce dans la voix du maître de forges semble dire qu’il comprend jusqu’à celle de Chesney-Wold parmi les positions que ses filles peuvent atteindre, ce qui fait redoubler sir Leicester de hauteur et de fierté.

« Tout cela, milady, arrive si fréquemment, dans la classe à laquelle j’appartiens, qu’il n’est pas rare de voir parmi nous ce qu’on appelle ailleurs une mésalliance. Un jeune homme apprend à sa famille qu’il est amoureux d’une jeune ouvrière de la manufacture ; il est possible que le père, autrefois ouvrier lui-même dans quelque usine, soit un peu contrarié tout d’abord ; peut-être avait-il d’autres vues pour son fils ; néanmoins, si la jeune fille est d’une réputation sans tache, il répond au jeune homme : « Je dois avant tout m’assurer que le sentiment dont tu parles est sérieux. L’intérêt de la jeune fille, aussi bien que le tien y est profondément engagé ; c’est pourquoi je vais mettre cette jeune ouvrière dans une pension où elle res-