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BLEAK-HOUSE

faisant retentir son joyeux carillon, nous fûmes sur le point de joindre notre voix à celle des clochettes, tant l’influence vivifiante des lieux que nous traversions excitait notre gaieté.

« Cette route, dit Richard, me rappelle mon homonyme Wittington[1] ; mais le chariot s’arrête, est-ce à nous qu’on veut parler ? »

Le carillon s’éteignait peu à peu, ranimé de temps en temps par un cheval qui, en relevant la tête ou en secouant sa crinière, faisait vibrer au loin le son éclatant de ses grelots.

« Bonjour, l’ami (le conducteur du chariot était à notre portière) ; mais voyez donc, Éva, nos trois noms dans son chapeau, sur trois billets qui nous sont adressés ; de la part de qui ? demanda Richard.

— De mon maître, monsieur, » répondit le charretier, qui, remettant son chapeau, fit claquer son fouet, réveilla ses clochettes et continua sa route au milieu d’un tourbillon sonore.

« Serait-ce le chariot de M. Jarndyce ? demanda Richard au postillon.

— Oui, monsieur. »

Nous ouvrîmes les billets qui nous avaient été remis ; ils étaient chacun la contre-partie de l’autre, et contenaient ces mots, d’une écriture ferme et lisible :

« Voulant dégager de toute contrainte notre première entrevue et la rendre aussi agréable que possible, je viens, chère enfant, vous proposer de nous aborder en vieux amis, et de considérer le passé comme un fait accompli ; vous et moi nous en serons plus à l’aise.

« Je vous attends et je vous aime.

«  John Jarndyce. »

J’avais craint jusqu’alors de ne pouvoir exprimer assez ma reconnaissance à mon bienfaiteur, au seul appui que je me connusse sur la terre. Il m’avait toujours semblé que ma gratitude était trop profondément ensevelie dans mon cœur pour cela ; et je me demandais à présent comment je pourrais voir cet homme généreux sans le remercier des bienfaits dont il m’avait comblée. Mais ces quelques lignes réveillaient chez Éva et Richard un vague souvenir dont ils ne se rappelaient pas l’origine, et

  1. Richard Whittington, né vers 1360, fit un noble usage de l’immense fortune qu’il avait acquise dans le commerce, fonda plusieurs établissements publics, hôpitaux et collèges, et fut nommé trois fois maire de Londres. (Note du traducteur.)