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« Ce qu’il y aurait peut-être de mieux à faire, répondis-je, ce serait d’abord de demander à Richard quelle serait la profession qui semble avoir pour lui de l’attrait.

— Précisément, répliqua mon tuteur ; parlez-en souvent avec Éva et lui ; mettez-y votre tact habituel, et nous verrons ensuite. »

Ce n’était pas là ce que j’avais voulu dire ; je pensais que ce serait lui qui parlerait à Richard, je me sentais donc effrayée de l’importance que l’on me donnait et du nombre de choses qui allaient reposer sur moi. Néanmoins je promis de faire de mon mieux, répétant que j’avais peur qu’il ne me supposât une sagacité que j’étais bien loin d’avoir ; ce à quoi mon tuteur répondit par le plus aimable de tous les rires que j’eusse jamais entendus.

« Allons, dit-il en se levant et en repoussant son fauteuil, assez de grognerie pour un jour ; mais un seul mot encore. Avez-vous quelque chose à me demander, chère Esther ? »

Il fixa sur moi des yeux si attentifs qu’il attira mon regard, et je crus comprendre sa pensée.

« Relativement à moi ? lui demandai-je.

— Oui, répondit-il.

— Rien, cher tuteur, répliquai-je en mettant dans la sienne ma main qui se trouva tout à coup plus tremblante que je ne l’aurais voulu ; s’il existait une chose qu’il me fallût savoir, je n’aurais pas besoin de vous prier de me la dire ; il faudrait que mon cœur fût bien profondément endurci pour que toute ma confiance ne vous soit pas acquise ; non, tuteur, je n’ai rien à vous demander. »

Il me donna son bras ; nous sortîmes pour aller à la recherche d’Éva ; et depuis ce moment je me sentis complétement à l’aise auprès de lui, complétement heureuse et ne désirant pas en savoir davantage.

La vie que nous menions à Bleak-House fut d’abord assez active : nous avions à faire connaissance avec les personnes du voisinage que voyait M. Jarndyce, et nous fîmes cette remarque, Éva et moi, qu’il semblait connaître tous ceux qui éprouvent le besoin de faire quelque chose avec l’argent des autres. Un jour que nous étions occupées dans le grognoir à trier ses lettres et à répondre à quelques-unes d’entre elles, nous en restâmes confondues. La plupart de ses correspondants paraissaient n’avoir d’autre affaire que de se former en comités pour demander de l’argent ; les femmes tout aussi bien que les hommes, et peut-être plus encore. Elles y mettaient une passion vraiment extraordinaire, et leur vie nous sembla n’avoir pas