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d’autre but que de jeter à la poste des billets de souscription, depuis un sou jusqu’à un souverain ; elles demandaient sans cesse et avaient besoin de tout : de vêtements, de vieux linge, de charbon, d’intérêt, d’aliments, de flanelle, d’autographes et d’argent, de tout ce que M. Jarndyce avait ou n’avait pas. Leurs projets n’étaient pas moins variés que ne l’étaient leurs demandes ; elles avaient à construire un nouvel édifice ; à terminer tel autre sur lequel on redevait et qu’il fallait payer ; à établir la confrérie de Marie du Moyen Âge, construction pittoresque dont la gravure de la façade était jointe au billet ; à donner un témoignage d’admiration publique à mistress Jellyby ; à faire faire le portrait à l’huile du secrétaire de leur comité, pour l’offrir à sa belle-mère, dont le profond dévouement à ce gendre estimable était bien connu de tous. En un mot, elles éprouvaient le besoin d’ériger tout au monde, depuis un hôpital jusqu’au marbre d’une tombe ; de tout offrir, depuis une rente de cinq cent mille livres jusqu’à une théière d’argent ; et prenaient une multitude de titres, s’appelant les femmes d’Angleterre, les filles de la Grande-Bretagne, les sœurs de la foi, de la charité, de l’espérance, de toutes les vertus du monde ; s’occupaient continuellement d’intriguer et d’élire, et notre faible tête se brisait, rien qu’à penser à la vie fiévreuse que devaient mener toutes ces dames.

Parmi celles que faisait remarquer entre toutes la rapacité de leur bienfaisance, était une mistress Pardiggle. À en juger par le nombre de ses lettres à M. Jarndyce, elle devait avoir une puissance épistolaire presque égale à celle de mistress Jellyby. Nous avions observé que le vent changeait toujours quand le nom de mistress Pardiggle se mêlait par hasard à la conversation, et que la bise interrompait invariablement M. Jarndyce dès qu’il avait exprimé cette opinion : qu’il existe deux sortes de gens charitables, ceux qui font beaucoup de bruit et peu de bien ; ceux qui font beaucoup de bien sans faire le moindre bruit. Nous étions fort curieux de voir mistress Pardiggle, qui devait, pensions-nous, être un type de charité bruyante ; aussi fûmes-nous enchantées lorsqu’un beau jour nous vîmes entrer cette dame avec cinq petits garçons qui lui appartenaient.

C’était une grande femme d’un aspect formidable, avec des lunettes, un nez proéminent, la voix haute et des mouvements si brusques et d’une telle force qu’elle renversait les chaises rien qu’en les effleurant de sa robe, dont l’immense ampleur exigeait une place énorme. Nous étions seules à la maison, Éva et moi, et nous la reçûmes avec timidité, saisies par le froid