Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/245

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ne l’empêchait pas d’être très-aimable et d’un caractère enjoué ; il me montra ma place et me présenta aux différents maîtres avec une bonne grâce qui m’eût mis à mon aise si cela eût été possible.

Mais il me semblait qu’il y avait si longtemps que je ne m’étais trouvé en pareille camaraderie, que je n’avais vu d’autres garçons de mon âge que Mick Walker et Fécule-de-pommes-de-terre, que j’éprouvai un de ces moments de malaise qui ont été si communs dans ma vie. Je sentais si bien en moi-même que j’avais passé par une existence dont ils ne pouvaient avoir aucune idée, et que j’avais une expérience étrangère à mon âge, ma tournure et ma condition, qu’il me semblait que je me reprochais presque comme une imposture de me présenter parmi eux sans autres façons qu’un camarade ordinaire. J’avais perdu, pendant le temps plus ou moins long que j’avais passé chez Murdstone et Grinby, toute habitude des jeux et des divertissements des jeunes garçons de mon âge ; je savais que j’y serais gauche et novice. Le peu que j’avais pu apprendre jadis avait si complètement été effacé de ma mémoire par les soins sordides qui accablaient mon esprit nuit et jour, que lorsqu’on en vint à examiner ce que je savais, il se trouva que je ne savais rien, et qu’on me mit dans la dernière classe de la pension. Mais quelque préoccupé que je fusse de ma maladresse dans les exercices du corps, et de mon ignorance en fait d’études plus sérieuses, j’étais infiniment plus mal à mon aise en pensant à l’abîme mille fois plus grand encore que mon expérience des choses qu’ils ignoraient absolument, et que malheureusement je n’ignorais plus, creusait entre nous. Je me demandais ce qu’ils penseraient s’ils venaient à apprendre que je connaissais intimement la pension du banc du Roi. Mes manières ne révéleraient-elles pas tout ce que j’avais fait dans la société des Micawber, ces ventes au mont-de-piété, ces prêts sur gages et ces soupers qui en étaient la suite ? Peut-être quelqu’un de mes camarades m’avait-il vu traverser Canterbury, las et déguenillé, et viendrait-il à me reconnaître ? Que diraient-ils, eux qui attachaient si peu de prix à l’argent, s’ils savaient comment je comptais mes sous pour acheter tous les jours la viande ou la bière, ou les tranches de pudding nécessaires pour ma subsistance ? Quel effet cela produirait-il sur des enfants qui ne connaissaient pas la vie des rues de Londres, s’ils venaient à savoir que j’avais hanté les plus mauvais quartiers de cette grande ville, quelque