Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/259

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— Allons donc, allons donc ! dit le docteur.

— Non, non, je vous demande pardon, reprit le Vieux-Soldat ; nous sommes seuls, à l’exception de notre excellent ami M. Wickfield, et je ne consentirai pas à me laisser fermer la bouche ; je réclamerai plutôt mes privilèges de belle-mère pour vous gronder, si vous le prenez comme cela. Je suis franche et j’ai le cœur sur la main : ce que j’ai dit là, c’est ce que j’ai dit tout de suite quand vous m’avez jetée dans un si grand étonnement… Vous vous rappelez ma surprise ? en demandant la main d’Annie ; non pas que la proposition en elle-même fût bion extraordinaire, je ne suis pas assez sotte pour le dire, mais comme vous aviez connu son pauvre père et qu’elle, vous l’aviez vue naître, je n’avais jamais pensé que vous dussiez devenir son mari,… ni le mari de personne, pour mieux dire : voilà tout !

— C’est bon, c’est bon, dit le docteur d’un ton de bonne humeur, n’y pensons plus.

— Mais je veux y penser, moi, dit le Vieux-Troupier en lui fermant la bouche avec son éventail ; je tiens à y penser ; je veux rappeler ce qui s’est passé, pour qu’on me contredise si je me trompe. Si bien donc que je parlai à Annie, et je lui racontai l’affaire. « Ma chère, lui dis-je, le docteur Strong est venu me trouver et m’a chargé de vous faire sa déclaration et de demander votre main. » Vous entendez bien que je n’ai pas insisté le moins du monde ; voilà tout ce que je lui ai dit : « Annie, dites-moi la vérité tout de suite, votre cœur est-il libre ? — Maman, dit-elle en pleurant, je suis bien jeune, ce qui était parfaitement vrai, et je sais à peine si j’ai un cœur. — Alors, ma chère, vous pouvez être sûre qu’il est libre. En tout cas, mon enfant, ai-je ajouté, le docteur Strong est trop agité pour qu’on lui fasse attendre une réponse ; nous ne pouvons le tenir en suspens. — Maman, dit Annie toujours en pleurant, croyez-vous qu’il fût malheureux sans moi ; en ce cas, je l’estime et je le respecte tant, que je crois que je l’épouserais. » Voilà donc une affaire décidée, et c’est alors seulement que je dis à ma fille : « Annie, le docteur Strong ne sera pas seulement votre mari, mais il représentera encore votre défunt père ; il représentera le chef de la famille ; il représentera la sagesse, le rang et je puis dire aussi la fortune de la famille, en un mot, il sera une bénédiction pour nous tous. » Oui, c’est le mot que j’ai employé alors, et je le répète aujourd’hui : si j’ai un mérite, c’est la constance. »