Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/180

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avant le thé, ou bien en mettant son chapeau de la façon la plus bizarre, sous prétexte que cela lui était commode. Mais les tantes de Dora s’habituèrent bientôt à regarder ma tante comme une personne excentrique et tant soit peu masculine, mais d’une grande intelligence et, quoique ma tante exprimât parfois, sur certaines convenances sociales, des opinions hérétiques qui étourdissaient les tantes de Dora, cependant elle m’aimait trop pour ne pas sacrifier à l’harmonie générale quelques-unes de ses singularités.

Le seul membre de notre petit cercle qui refusât positivement de s’adapter aux circonstances, ce fut Jip. Il ne voyait jamais ma tante sans aller se fourrer sous une chaise en grinçant des dents, et en grognant constamment ; de temps à autre il faisait entendre un hurlement lamentable, comme si elle lui portait sur les nerfs. On essaya de tout, on le caressa, on le gronda, on le battit, on l’amena à Buckingham-Street (où il s’élança immédiatement sur les deux chats, à la grande terreur des spectateurs) ; mais jamais on ne put l’amener à supporter la société de ma tante. Parfois il semblait croire qu’il avait fini par se raisonner et vaincre son antipathie ; il faisait même l’aimable un moment, mais bientôt il retroussait son petit nez, et hurlait si fort qu’il fallait bien vite le fourrer dans le réchaud aux assiettes pour qu’il ne pût rien voir. À la fin, Dora prit le parti de l’envelopper tout prêt dans une serviette, pour le mettre dans le réchaud dès qu’on annonçait l’arrivée de ma tante.

Il y avait une chose qui m’inquiétait beaucoup, même au milieu de cette douce vie, c’était que Dora semblait passer, aux yeux de tout le monde, pour un charmant joujou. Ma tante, avec laquelle elle s’était peu à peu familiarisée, l’appelait sa petite fleur ; et miss Savinia passait son temps à la soigner, à refaire ses boucles, à lui préparer de jolies toilettes : on la traitait comme un enfant gâté. Ce que miss Savinia faisait, sa sœur naturellement le faisait aussi de son côté. Cela me paraissait singulier ; mais tout le monde avait, jusqu’à un certain point, l’air de traiter Dora, à peu près comme Dora traitait Jip.

Je me décidai à lui en parler, et un jour que nous étions seuls ensemble (car miss Savinia nous avait, au bout de peu de temps, permis de sortir seuls), je lui dis que je voudrais bien qu’elle pût leur persuader de la traiter autrement.

« Parce que, voyez-vous, ma chérie ! vous n’êtes pas un enfant.